On a collé l'oreille contre l'enceinte pour déchiffrer dans le halo de réverbération les textes de Yeti Lane : «C'est délicat, comme c'est exquis/ Comme dans un rêve, tout est délice.» Ces lettres pourraient se former dans les volutes de fumée de la chenille d'Alice version Disney, accompagnant la marche du duo français sur l'album l'Aurore sans jamais toucher terre. Cédric Benyoucef et Charlie Boyer sont devenus des guides fiables pour planer depuis la création de leur groupe Cyann & Ben, il y a quinze ans. Puis ils ont formé Yeti Lane en 2008, soit l'union impensable du Penny Lane des Beatles et du Yeti des vétérans krautrock allemands Amon Düül II. Leur rock shoegaze et acide se dispute ainsi aux sons pleins de caprices des machines analogiques. Cet album est leur troisième, et le premier à les faire entrer dans le cercle des musiciens qui choisissent la langue française et la sortent de sa prison de chanson narrative et dénudée. Et c'est une joie : on n'aurait pas pu mieux entendre comment The Jesus & Mary Chain pourrait sonner en français que sur Acide amer. Les crépitements semblent créés par des étincelles entre des câbles entrelacés qui mettent les fusibles en état d'alerte. Yeti Lane flamboie sur cet album, sur l'Aurore et Crystal Sky, l'ardeur de Madchester et l'émotivité d'un Ian Brown apportant la chaleur qui polit ce son brut, enregistré sur bande en live. «Après la tournée pour The Echo Show, on s'est rendu compte que notre formule était pop et plus écrite et nous enfermait sur scène. On a essayé de trouver une technique qui nous permette de jouer sur les durées et les intensités», explique Charlie Boyer. L'album a bénéficié d'une leçon de liberté lors de deux concerts où Yeti Lane accompagnait Damo Suzuki, du groupe Can. Il leur avait été ordonné de jouer une heure de musique sans silence, entièrement improvisée. Une autre rencontre, avec Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre, dont ils ont fait les premières parties et qu'ils ont rejoint en studio, a été tout aussi nourrissante, surtout pour les riffs de fer et le psychédélisme assumé. Chaque titre prend ses aises, laissant entendre le souffle des machines, voire leurs rires (sur Exquis). Sur Good Word's Gone, le mur de réverb est comme un abri après un constat d'apocalypse et la voix une présence lointaine mais rassurante. «On n'aime pas les voix sèches, on les traite comme des instruments», précise Cédric Benyoucef. Sur Liquide, le duo semble avoir cédé le micro à un chat coincé dans un synthé ou inventé la pédale Miaou. Avec sa consistance de gâteau à étages dans lequel chaque couche de nappage demande une nouvelle bouchée pour en saisir la pleine saveur, il faut réécouter l'Aurore. «La nuit chante, ne dis rien/ La terre tremble, ne dis rien» : soit, taisons-nous.
Shoegaze
Yeti Lane, «Aurore» planante
publié le 14 mars 2016 à 17h41
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