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Libération
Come-back

Gucci Mane, trublion hip-hop en toute sérénité

Impulsif et prolifique, libéré de ses addictions après plusieurs séjours en prison, le rappeur d’Atlanta revient avec le brillant album «Everybody Looking».
Gucci Mane, de son vrai nom Radric Davis, pape de la «trap music». (Photo Jonathan Mannion)
publié le 25 juillet 2016 à 17h11

C'est un disque qui laisse une drôle d'impression. Comme celle que l'on ressent lorsque l'on croise un amour adolescent par hasard des années plus tard, sans Biactol ni appareil dentaire. Avec l'envie de se laisser séduire de nouveau. Pourtant, dans notre relation avec Gucci Mane, la lassitude l'avait largement emporté depuis longtemps. Comme de vieux amants qui ne parviendraient plus à s'entendre sur rien. Si le rappeur d'Atlanta, prodige de la trap music, nous avait fait franchement hocher la tête en secouant l'index il y a presque sept ans, après son album The State vs. Radric Davis, il s'était ensuite totalement perdu. La faute à dix séjours derrière les barreaux - dont le dernier, long de trois ans, pour possession illégale d'arme à feu. La faute encore à des clashs incessants avec d'autres rappeurs sur les réseaux sociaux. A de nombreuses mixtapes sorties sans que l'on sache trop pourquoi ni comment, du jour au lendemain.

Codéine. Gucci Mane est un artiste impulsif, c'est vrai. En témoigne la dizaine de publications musicales qui vient garnir son palmarès. Il y a bien eu quelques espoirs impromptus via des albums collaboratifs enregistrés à la va-vite, mais rien de vraiment concluant. Et puis le revoilà, sobre, musclé, serein. Enregistré en six jours, Everybody Looking est l'un de ses meilleurs albums. Là où on l'attend, certes, mais où il excelle en nous donnant cette curieuse impression de faire un doigt d'honneur à tous les observateurs qui préféraient commenter son bide à bière et son addiction à la codéine. Avec l'aide de Young Thug, un autre rappeur d'Atlanta, Drake ou Kanye West, il déroule son flow saccadé. La production des titres - signée du célèbre Mike WiLL Made-It et marquée par des basses sourdes et des claviers électroniques - est simplissime mais excessivement efficace.

Dans son titre Richest Nigga in the Room, l’un des plus réussis de l’album, le multimilionnaire revient sur ses démêlés et se pavane fièrement : «J’ai été pris en chasse depuis que je suis sorti de l’utérus/ Maintenant regardez-moi je suis le nigga le plus riche de la pièce.» Il faut le reconnaître aussi, Gucci Mane fait du bien. Quand les sorties hip-hop du moment sont désormais essentiellement faites de tubes radiophoniques pop avec abus de vocoder - ce qui n’est pas toujours pour nous déplaire - Gucci Mane propose vraiment autre chose. Là où l’on adule Kendrick Lamar pour son authenticité, on admire Gucci Mane pour sa persévérance.

Depuis qu'il a débuté dans le rap à 14 ans, il est un pape de la trap, courant musical du rap dans lequel de nombreux artistes français et internationaux se sont essayés depuis, avec plus ou moins de succès. Il se targue d'ailleurs - l'ego aidant -, dans le titre All My Children, d'avoir été plus imité qu'Elvis. On avait pu voir Mane, entre deux séjours derrière les barreaux, devant la caméra de Harmony Korine pour le réjouissant Spring Breakers. Korine n'hésitait pas à l'époque à le comparer à Sinatra : «Un artiste pur, il incarne les codes et la légende d'un style et les transcende d'une manière tout à fait bizarre.» Radric Davis, vrai nom de Gucci Mane, y est comme chez lui, à l'image de son morceau Pop Music, dans lequel il rappelle qu'il est le patron, sans fioritures. Avec l'écueil parfois de laisser à penser qu'il reste dans sa zone de confort, sans prendre de risques. On aurait aimé l'entendre dans un autre registre, juste par curiosité.

«Sobre». Dans une longue interview donnée au New York Times il y a quelques jours, l'artiste déclarait n'avoir jamais cessé de décoller du sol via toutes sortes de substances depuis ses 17 ans - il en a 36 désormais : «Je pensais que je ne pouvais pas composer sobre, que je ne pouvais pas profiter de ma fortune sans être défoncé. Pourquoi, si je vais dans un club, je ne pourrais pas boire et fumer ? Je pensais que le sexe en étant clair ne pouvait pas être agréable. Tout ce que je faisais était pour moi associé au fait d'être perché.» Mane, prolifique jusqu'au délire puisqu'on le crédite plus ou moins de 2 000 titres seul ou accompagné, fait partie de ces artistes torturés qui produisent autant qu'ils détruisent. Mais qui, lorsqu'on ne les attend plus, nous rappellent qu'ils sont incontestablement brillants.