La première compilation Sky Girl avait été éditée au compte-gouttes en 2013 sans aucune information sur les artistes responsables des choses obscures qu'on pouvait y écouter et, pour le commun des amateurs de musique, y découvrir quinze chansons de new wave poudreuse, de folk fugace et d'ambient opalescent dont on ne pouvait guère que tenter de deviner l'âge ou la provenance mais qui formaient ensemble une envoûtante plongée dans la musique de chambre à coucher du milieu des années 60 jusqu'à la fin des années 80.
Curiosité. Ses initiateurs, DJ Sundae et Julien Dechery, collectionneurs de disques rares basés à Paris, avaient fait le choix des crédits fantômes par commodité, parce que retrouver les artistes tous évaporés dans les limbes de l'oubli aurait coûté une fortune en honoraires de détective privé. La conséquence collatérale inattendue, c'est qu'on pouvait en apprécier la musique largement exceptionnelle l'esprit apaisé, déconnecté des encyclopédies en ligne et des histoires compliquées qui accompagnent la plupart des objets pop d'antan qu'on s'inflige par obsession complétiste ou curiosité.
Cette réédition réaménagée qui paraît sur le label australien Efficient Space joue le jeu de la transparence légale et de crédits exhaustifs, mais la plupart des œuvres qui y sont compilées sont si introuvables que l'effet est pour ainsi dire altéré. Sous-titrée "a compilation of micro press DIY folk-pop and new wave 1961-1991", elle rassemble quinze pépites - une fois n'est pas coutume, le mot n'est pas usurpé - tombées de disques, cassettes ou 45-tours édités pour la plupart sur des structures lilliputiennes partout où la pop a étendu ses tentacules, principalement la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis.
Humanisme. Le spectre musical est large : on y trouve de l'americana (l'unique single enregistré par Nora Guthrie, fille de Woody, ou l'extrait de la magnifique BO de l'Homme sans frontière de Peter Fonda, composée par Bruce Langhorne, musicien proche de Dylan à la fin des années 60), de la pop synthétique plus ou moins naïve (Feeling Sheepish, Karen Marks), de l'indie pop au cœur très pur (Gary Davenport, Warfield Spillers) et même une folie d'easy listening symphonique jouée au Casio (l'incroyable Wild Dream de l'inconnu Joe Tassini). Au-delà de la tendresse pour les sensibilités fugitives et les expressions modestes qui nous fait souvent aimer les grands déballages de pop ingénue plus que de raison, une vraie grâce s'exprime dans chacune des chansons de ces quasi-anonymes qui révèle non seulement l'intense précision du travail de repérage effectué par Dechery et Sundae, mais un humanisme peu commun au cœur de leur sélection. L'idée magnifique qui court tout au long de cette indispensable anthologie, c'est que nous avons tous au moins une chanson somptueuse en nous, et qu'il ne tient parfois à pas grand-chose de la graver sur des sillons pour l'éternité.