Cette semaine, recul méditatif avec les Sonates du rosaire de Biber expliquée par Hélène Schmitt, un compte rendu de la soirée Petrenko-Damrau au Théâtre des Champs-Elysées lundi dernier, un concert de la semaine et la chronique radiophonique classique en partenariat avec France Musique.
Hélène Schmitt et «les Sonates du rosaire» (1/3)
Au milieu de cette rentrée tournoyante et aux affiches rutilantes, posons-nous quelques instants pour écouter Hélène Schmitt. Cette violoniste quintessentiellement baroque, à la longue carrière en Allemagne, sort son 10e disque, les Sonates du Rosaire de Heinrich Ignaz Franz Biber, composées vers 1678. Petite, au débit rapide, et impliquée, pour ne pas dire passionnée, elle raconte à Libération cette œuvre et ses secrets inexpliqués.
«Ce sont les Sonates du mystère, qui font référence aux mystères sacrés issus de la liturgie, l’histoire de Marie et de Jésus. Il y a cinq mystères joyeux, cinq mystères douloureux et cinq autres glorieux. Avec une passacaille finale appelée l’Ange gardien.
«Il y a aussi un jeu de mots avec les mystères qu’elles représentent pour les musicologues. Elles ont été écrites entre 1675 et 1680 par Biber pour l’archevêque de Salzbourg. Ces sonates sont donc une œuvre privée, pour un usage personnel. Un exemplaire dédicacé a été donné à l’archevêque, qui était le protecteur de Biber, avec une gravure pour chaque sonate, de l’Ange annonciateur à l’Ange gardien.
«En 1905, ce manuscrit magnifique se retrouve dans la succession de l'archevêque et est conservé à la Staatsbibliothek de Munich. Elles ne sont pas vraiment considérées. Elles n'ont pas d'intérêt musical, sinon que de renseigner sur les pratiques de l'époque. En fait, elles recèlent un usage du violon spécial, et aussi mystérieux.» (la suite ici)
Concert de la semaine
Esa-Pekka Salonen était de toutes les scènes, en juillet au festival d'Aix-en-Provence. Retrouvons-le avec son Philharmonia Orchestra dans cette captation du programme Stravinsky Oedipus Rex/Symphonie de psaumes, mis en scène par Peter Sellars et présenté au Grand Théâtre de Provence.
Hélène Schmitt et «les Sonates du rosaire» (2/3)
«La grande particularité de ces sonates, c’est qu’on les joue avec une scordatura. Ce qui signifie que le violon n’est pas accordé de manière conventionnelle. Chaque sonate a un accordage particulier, et l’accordage traditionnel sol, ré, la, mi ne se retrouve que pour la passacaille. Ces désaccordages impliquent parfois une manière un peu folle de jouer. Pour certaines sonates, le jeu des cordes à vide donne un accord parfait. D’autres fois, non. Cela a évidemment des répercussions sur les doigtés, qui ne sont pas les mêmes d’une sonate à l’autre.
«Nous ne savons pas pourquoi Biber a aligné autant de scordatura. Il ne l'explique jamais. Il dit juste dans son adresse à l'archevêque : j'ai accordé ma lyre aux quinze mystères. Et surtout, pour la 11e sonate, il intervertit deux cordes, ce qui chamboule l'ordre des quintes : la deuxième corde est plus aiguë que la troisième. Mais cela a aussi pour effet de dessiner une croix entre le chevalet et le cordier. Cette sonate marquée d'une croix s'appelle la résurrection.
«La musique de ces sonates n'est pas représentative. On ne représente pas à l'époque les sentiments humains. Sauf par allégories, mais là encore c'est un peu plus tard, vers le début du XVIIIe siècle. Il faut considérer ces sonates, qui sont d'ailleurs accompagnées de danse, comme une série de méditations, sur la croix, la flagellation…» (la suite ici)
Lecompte rendu : Kirill Petrenko au TCE
On ne saura pas pourquoi un tuba a entonné les premières notes de Bon Anniversaire à l'entrée de Kirill Petrenko dans la salle du Théâtre des Champs-Elysées, puisque ce n'était pas son anniversaire ce jour-là, lundi 12 septembre. Les musiciens ont souri. Le chef en a profité pour féliciter l'orchestre pour sa prestation de la veille, dans le cadre de leur tournée européenne, et a entamé presto une séance de répétition avec le Bayerisches Staatsorchester.
18h45. L'orchestre habillé en civil travaille des moments de l'ouverture des Maîtres Chanteurs de Nüremberg et de Wagner. Dans une heure et quart, ils devront jouer en frac devant une salle pleine. Pour le moment, Petrenko leur fait répéter des détails. Le chef en polo noir, adossé à une chaise sur le pupitre, est très dynamique, dans une urgence permanente. Il interrompt beaucoup l'orchestre, fait préciser, demande à reprendre. Dans tous ses gestes, dans sa façon de se déplacer, Petrenko est extraordinairement énergique et il parvient à transmettre cet allant aux musiciens. Il parle énormément à ses troupes. Il lui arrive de chanter.
19h02. Les musiciens commencent à répéter Tchaïkovski. Il n'y a pas eu de transition entre Wagner et le compositeur russe. De façon presque simultanée, Petrenko a refermé la première partition et ouvert la seconde pour illico relancer l'orchestre. Le chef est lancé dans une opération de microchirurgie : il fait reprendre deux fois de suite une ouverture de mouvement après deux mesures et quatre malheureux pizzicatos. Assez intense. D'autant que, tout à sa vivacité, Petrenko se propulse d'un bout à l'autre de la partition en la feuilletant très rapidement. Quand tout lui va, il passe immédiatement à autre chose. L'impression d'ensemble est celle d'un mécanicien scrupuleux qui vérifie l'état de son bolide et règle son moteur. Et il tourne rond.
19h17. Reconfiguration du plateau pour laisser place à Diana Damrau qui, de gris vêtue, vient travailler les quatre derniers Lieders de Strauss.
19h32. Tout le monde répète toujours le testament musical de Strauss. La représentation doit commencer dans 28 minutes. Personne n'est en tenue.
20h03. Les musiciens en costume entrent sur la scène du TCE. Ils s'installent. Petrenko surgit, monte sur le pupitre. C'est parti pour l'ouverture des Maîtres Chanteurs de Nüremberg.
20h14. Ovation rugissante et méritée. Petrenko nous l'a joué Top Chef : du croquant, du mordant, du moelleux, de la sublimation, du mélange de saveurs… un Wagner très nourrissant et peu pesant. De quoi rassurer outre-Rhin avant la prise de fonctions du chef russe à la tête du Berliner Philharmoniker en 2019. De quoi donner tort aux deux hurluberlus assis derrière nous qui disaient : «Wagner par cette chaleur…» A leur décharge, il fait quand même plus de 30°C dans cette salle.
20h17. Arrivée de Diana Damrau, dans une étourdissante robe saumon et gris. Début des Quatre Derniers Lieders de Strauss. Damrau n'a pas un timbre extraordinaire mais une dignité à toute épreuve et la subtilité de pouvoir se couler sans heurt dans le flot de l'orchestre pour l'ouverture du 3e chant, l'Heure du sommeil, très impressionnante. On ne ressentait pas l'approche de la mort et son inquiétude mais plutôt la solennité d'une vie arrivée à son terme. Ceux qui n'aiment pas pourraient dire «scolaire».
20h32. Un homme assis trois rangs devant nous se retourne et lève la main, paume ouverte, comme s'il voulait envoyer une gifle à quelqu'un. A priori, à deux femmes assises non loin, pour une raison indéterminée. Puis le gars jette carrément son mouchoir sur les deux femmes. Diana Damrau, sur scène, en est au Crépuscule.
20h40. Fin de la première partie après un silence tenu et extraordinaire. Il semble important pour Petrenko de faire entrer dans l'œuvre la dizaine de secondes suivant l'extinction du dernier instrument, comme si la retombée non seulement du son mais de l'influx musical en faisait partie. Entracte. L'homme menaçant se plante devant les deux femmes et les agonit : «Ce sont les enfants qui parlent, quand on a votre âge on se tait, c'est une honte» etc. Les spectateurs passent autour d'eux. Les deux femmes font comme si de rien n'était.
21h04. Début de la 5e de Tchaïkovski. Tout le monde est en place, l'orchestre, le chef, l'homme menaçant et les deux bavardes.
21h17. Le public est exténué de chaleur. Sur scène, Petrenko fait décoller et tourbillonner ses musiciens pour une symphonie construite sur un principe cumulatif et de contraste, à l'exception du 3e mouvement. Cela rue, cabre et se calme avant de ruer à nouveau. Une heure de montagnes russes. Les violons s'arrachent sur les attaques, il y a une grosse présence physique. Le chef, toujours énergique, se plaît lui aussi à surjouer les intentions : il sautille, trépigne, gesticule, a aussi des mouvements de mains alanguis. S'il était mime, on dirait qu'il mime bien le chef d'orchestre.
21h52. Fin de la 5e, réussite de douceur et de violence. Bis, du Glinka, l'ouverture de Ruslan et Ludmila jouée à fond de train avec une chorégraphie de Petrenko sur un dialogue violon-flûte. Car au fond, c'est de dialogue qu'il s'est agi toute la soirée, une discussion germano-russe en deux moments dissociés qui nous ont été parfaitement servis ce soir-là.
Kirill Petrenko et le Bayerisches Staatsorchester, soprano Diana Damrau. C'était au Théâtre des Champs Elysées le 12 septembre. Ils seront à Vienne le 18 septembre et à Francfort le 21 pour le même programme Wagner, Strauss et Tchaïkovski
Hélène Schmitt et «les Sonates du rosaire» (3/3)
«Pour l’interprétation de ces sonates, je me nourris de tout ce que j’ai pu en apprendre ou lire sur le sujet. Elles sont compliquées à jouer en concert car les scordatures sont toujours délicates pour les instruments. Je les joue à deux violons, cela laisse le temps à l’un d’eux de se reposer.
«Nous avons enregistré dans l'église d'un château, en Westphalie, où sont enregistrées beaucoup d'œuvres baroques. Pour le continuo, je suis entouré de musiciens merveilleux, et nous avons aussi un instrument particulier : un claviorganum. C'est-à-dire un clavecin et un orgue. Deux claviers, deux mécanismes, qui peuvent aussi produire les deux types de son en même temps. C'est un instrument formidable.
«Un jeune musicien doit faire des disques Je me rends compte que, avec l’âge mûr, ce qui m’excite le plus, c’est de comprendre. Il y a les feux de l’ego et les feux de la dévotion. Aujourd’hui je suis plutôt dans ceux de la dévotion. Il faut être dans la connaissance.»
«Les Sonates du rosaire» de Biber par Hélène Schmitt (Aeolus)
Coda bonus : la chronique France Musique
Notre expérience radiophonique se monte maintenant à dix minutes avec cette troisième chronique Libé/France Musique, enregistrée jeudi dans la matinale présentée par Saskia De Ville. Il y est question de Bach, Coltrane, Lang Lang, Berlioz, plutôt en même temps que séparément… autrement dit du crossover.