Menu
Libération

La variété, tout un poème

Des artistes grand public qui ont réussi à prêter leur voix à des auteurs reconnus.
Hervé Vilard a pioché chez Ionesco, Brecht ou son amie Marguerite Duras. (Photo Jean-Marie Millet)
publié le 28 octobre 2016 à 17h51

Sur le papier, l’association de ces noms avec l’univers de la poésie n’a rien d’évident. Elle est même en mesure de dérouter les colleurs d’étiquette. Cantonnés dans l’inconscient collectif au registre de la variété, ces artistes ont à un moment emprunté ce chemin-là. Souvent avec une belle audace.

1- Hervé Vilard «Cri du cœur» (2004)

Disons-le tout de go, c'est la divine surprise. Encore que ceux qui connaissent l'homme, à la fois curieux, lettré et refusant les compromis, ne seront pas ébaubis par ce contour poétique. Capri, c'est bel et bien fini. Ou presque. Dans un écrin musical sobre et élégant, Hervé Vilard pioche chez Ionesco, Brecht, Dimey. Convoque son amie Marguerite Duras (l'écrivaine avait une passion folle pour le répertoire du chanteur). Et s'empare de toute la gamme des sentiments tourbillonnants. Interprétation habitée, classieuse, authentique. Vilard donne même l'estocade sur deux chansons : l'Echarpe de Maurice Fanon et le Condamné à mort de Jean Genet. Sur scène, au sein d'un spectacle dont il continue toujours de jouer les prolongations parallèlement à son tour de chant populaire, il glisse une pépite oubliée de Barbara (C'est trop tard). Là encore, on ne peut que s'incliner.

2- Isabelle Aubret «Aragon» (1992)

Lauréate à l'Eurovision, en 1962 avec Un premier amour, elle s'extirpe rapidement des bluettes dans lesquelles on veut l'enfermer. Ce qui intéresse Isabelle Aubret, c'est la force des mots, la chanson engagée. La voilà donc qui s'érige en porte-voix de Brel - qui lui offrira d'ailleurs les droits de la Fanette à la suite du terrible accident de voiture de la chanteuse -, Ferrat et Aragon. Ce sont ses compagnons de route. Elle ne cessera de les célébrer, quitte à être médiatiquement boudée pour proximité communiste. Ce disque-là est une belle réussite. Parce que la mise en musique par Jean Ferrat et Léo Ferré (doublette de luxe) a une belle gueule d'atmosphère. Parce que les poèmes d'Aragon ont des allures d'éternité. Parce qu'Isabelle Aubret ne chante pas pour passer le temps.

3- Jean-Louis Aubert «les Parages du vide» (2014)

Qu'est-ce qui peut bien lier l'ex-leader de Téléphone et Michel Houellebecq ? A priori, pas grand-chose. Donc le hasard. Aubert ouvre un jour le recueil de poèmes Configuration du dernier rivage, paru en 2013, s'arrête à la page «Isolement», empoigne spontanément sa guitare et compose autour de ces vers. Entre les deux parties, s'ensuit un échange de mails probant. L'écrivain goncourisé clame sa fierté d'être une source d'inspiration. Aubert s'approprie ainsi quinze autres poèmes. L'emballage musical embrasse cordes (présence notable de Vincent Segal au violoncelle), cuivres, piano délicat et guitares acoustiques. Les ventes du disque n'atteindront pas les chiffres habituels du chanteur. Mais la tournée s'effectuera à guichets fermés. Preuve que la poésie n'a pas qu'un effet repoussoir pour le plus grand nombre.

4- Pierre Bachelet «la Ville ainsi soit-il» (1995)

Autre percée d'une plume à Goncourt, en l'occurrence Yann Queffélec. La démarche ne provient pas du chanteur mais de son producteur, Bernard de Saint-Paul. Celui-ci, conquis par un livre de l'écrivain-poète, lui dresse une liste d'artistes (Paradis, Sardou, Hallyday, Kaas) pour lesquels il lui propose d'écrire. Queffélec s'arrête sur Bachelet, autant dire le moins bankable. Il le considère comme un très grand mélodiste. Les deux hommes ont une passion commune pour la mer (rappelez-vous notamment le duo Bachelet-Florence Arthaud). Et la thématique de ce disque concept sera… la ville. Ce qui frappe aussi, c'est la durée des chansons. Hormis la plage introductive, elle oscille entre cinq et sept minutes. Rarement autant d'emballements critiques pour un disque de Bachelet. Mais, sans soutien radio, il passe inaperçu.

5- Diane Tell «Docteur Boris & Mister Vian» (2009)

La Québécoise, qu'on a tendance à résumer à un seul tube (Si j'étais un homme), traverse une passe difficile. A l'affiche de la comédie musicale de Ruquier Je m'voyais déjà - censée lui redonner de la visibilité -, elle est virée pour incompatibilité d'humeur. En surfant dans la foulée sur le cinquantième anniversaire de la mort de Boris Vian, on ne peut s'empêcher de penser à une approche opportuniste. Sauf que pas d'hommage en toc ici. Diane Tell évite les attendus J'suis snob ou le Déserteur pour se concentrer sur des raretés. Son interprétation a du flair, et les arrangements jazzy se révèlent de toute beauté. Reste que l'écho de cet album sera plus que relatif.