Il n'y a pas une, ni deux, mais quatre bonnes raisons de se plonger corps et âme dans l'œuvre de Michel Chion. Il y a son corpus critique sur le cinéma, lu dans les Cahiers et des études monographiques de référence sur David Lynch, Jacques Tati, Tarkovski. Ensuite il y a ses études remarquables sur la musique électronique, d'un Que sais-je ? très recherché sur la musique concrète à une biographie indispensable de Pierre Henry en passant par son dernier grand manifeste, L'Art des sons fixés, en 1990. Aussi, il y a la pile de ses livres et cours consacrés à la discipline qu'il a inventée, «l'étude systématique des rapports audiovisuels», riche de plusieurs livres multitraduits et très étudiés dont le plus connu, la Musique au cinéma, a reçu le prix du meilleur livre de cinéma en 1995. Enfin, surtout, il y a son œuvre musicale, exclusivement électronique, riche de plus de quarante compositions aux formes et envergures très diverses (du «mélodrame concret» à un Requiem pharaonique, en 1973), conçues et développées dans les studios du GRM, dont il fut membre de 1971 à 1976, ou à domicile, où il explore sa technique dite du «crayonné», qui met à profit son usage presque symbiotique du magnétophone à bande.
Musiques concrètes 1988-91 est le troisième disque consacré par le label Brocoli aux œuvres inédites du Français, après Tu et Musiques Concrètes 1970-71. Il présente trois pièces jamais entendues ou de façon parcellaire : les Dix études, série de «pièces d'intérieurs austères et étriquées», souvent drôles et abrasives, titrées à l'avenant des choses étonnantes qu'on y entend («craquements», «rixe», «cantique»…) ; Variations, qui déconstruit un thème de valse sans jamais nous le faire en entier ; enfin, le passionnant manifeste musical Crayonnés ferroviaires, dans lequel Chion explique de vive voix son processus technique, créatif et poétique en exposant ses myriades de possibilités à partir d'une collection d'enregistrements effectués dans des trains en Italie, en France et aux Etats-Unis.
Pourquoi les trains ? Parce que l'Étude aux chemins de fer (1948) de Pierre Schaeffer est l'une des œuvres les plus anciennes de la musique concrète, et parce qu'un son de train, d'après Michel Chion, «peut tout contenir», qu'il est «le son plaque tournante de tous les sons». Manifeste vibrant pour un «instrument» en voie de disparition, le magnétophone, et contre «la soi-disant obligation du numérique», ces Crayonnés magnifiques tombent à pic, à l'ère de Garageband et du MP3, pour nous rappeler qu'à l'instar de la peinture, de la sérigraphie ou du cinéma sur pellicule, la musique électronique sur bande est une forme artistique qui ne saurait être complètement remplacée par aucune autre et qu'à ce titre, elle est éternelle.
Musiques concrètes 1988-91 est disponible dès aujourd'hui et commandable en ligne sur le site de Brocoli.