Est-ce qu’il y aurait un complexe des artistes pop vis-à-vis de celle que l’on appelle la «grande musique», soit la musique classique ? Si certains se sont lancés dans de vraies compositions orchestrales à l’image des hard-rockeurs de Deep Purple, pionniers en la matière avec un concerto joué en 1969, d’autres se sont plus modestement contentés d’adapter leurs œuvres pour violons, hautbois, bassons, trompettes, timbales, etc. Ou de le laisser faire par autrui.
1- Birkin et Gainsbourg classiques
La musique classique constituait une forte source d'inspiration pour Serge Gainsbourg. Il l'a même déclinée dans quelques-unes de ses plus grandes chansons. Baby Alone in Babylone, chantée en 1983 par Birkin, faisait ainsi de l'œil à la Symphonie n°3 en fa majeur de Brahms. On peut aussi citer la rencontre en 1969 entre le Prélude pour piano n°4 en mi mineur de Chopin et la voix de Birkin sur la chanson Jane B. Suite à une expérience fructueuse cet été aux Francofolies de Montréal avec l'orchestre symphonique de la ville, la même Birkin adapte sur disque l'œuvre de Gainsbourg en version classique. Bien aidée par Philippe Lerichomme, à la direction artistique, et Nobuyuki Nakajima, aux arrangements et au piano. On aime beaucoup Requiem pour un con, subtilement cacophonique.
Birkin/Gainsbourg le Symphonique (Warner) sortie prévue le 24 mars
2- Les Doors stupéfiants
Voilà un album qui mérite de figurer en bonne place dans le panthéon des projets incongrus. En 2000, le fantasque et mystique Jaz Coleman, gourou de l'inclassable formation postpunk Killing Joke, s'associe avec le tout aussi excentrique violoniste Nigel Kennedy pour réinterpréter une poignée de classiques des Doors en version symphonique dans un disque sobrement intitulé The Doors Concerto. Si l'idée d'une collaboration entre les deux hommes est déjà passablement improbable, leurs versions de Riders on the Storm, Light My Fire et autre People Are Strange flirtant régulièrement avec la muzak, le sont encore plus. Le violon du prodige britannique à l'étonnante fantaisie capillaire remplaçant péniblement la voix des Jim Morrison.
Jaz Coleman et Nigel Kennedy The Doors Concerto (2000)
3- Pete Townshend ampoulé
Dans sa version originale sortie en 1973, Quadrophenia, l'autre opéra rock des Who (après Tommy), était déjà passablement pompeux. Mais ce n'est rien à côté de sa relecture symphonique, conçue d'abord pour la scène en 2014, par le toujours très modeste guitariste du groupe, Pete Townshend, en compagnie des 90 musiciens anglais du Royal Philarmonic Orchestra. Il est amusant de noter que dans cette improbable version le ténor britannique Alfie Boe partage l'affiche avec le célèbre mais vieillissant punk d'opérette à la chevelure peroxydée Billy Idol. Une relecture qui ne fait pas l'unanimité, loin de là.
Pete Townshend Classic Quadrophenia (2015)
4- Metallica pompier
En voilà une drôle d'association. En 1999, le quatuor de heavy metal Metallica s'acoquine avec l'ineffable Michael Kamen, inoffensif compositeur américain pour des films à grand spectacle comme l'Arme fatale (1 à 4), Piège de cristal ou Robin de Bois, prince des voleurs , pour enregistrer un double album, baptisé S&M et enregistré lors de deux concerts en avril à Berkeley, en Californie, avec l'orchestre symphonique de San Francisco. Michael Kamen dirige les musiciens classiques, Metallica joue comme d'habitude, mais le mélange heavy metal-symphonique rend encore plus saillant le côté pompier du groupe californien. Comme si Wagner s'était emparé d'une guitare.
Metallica, Michael Kamen et The San Francisco Symphony S&M (1999)
5- London Sinfonietta iconoclaste
Attention, disque sérieux où la vingtaine de musiciens qui compose le prestigieux London Sinfonietta, auteur d'une centaine d'albums depuis 1968, s'attaque au répertoire du label électronique Warp, qu'il mélange à des standards de la musique contemporaine du XXe siècle. Enregistrés entre 2003 et 2005 lors de différentes représentations au Royaume-Uni, les titres de l'album sorti sur le label britannique en 2006 mettent Squarepusher et Aphex Twin au même niveau que Steve Reich, John Cage ou Edgard Varèse, même si les interprétations divergent. Aux grands anciens, un traitement raffiné, aux deux (alors encore jeunes) producteurs anglais, des arrangements plus complexes, qui mettent en valeur les structures parfois alambiquées de leurs compositions, lesquelles ressortent encore plus dissonantes et délicatement perturbantes que lors de leurs enregistrements originaux.
London Sinfonietta Warp Works & Twentieth Century Masters (2006)