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Dancefloor

Jamie xx : «Etre seul avec des danseurs classiques, c’était puissant, émouvant»

Le cerveau du trio londonien se confie avant trois dates en France et la création d’un ballet à Garnier.
Jamie xx lors du concert donné le 3 juin 2016 au Governors Ball, à New York. (Photo Sipany. Sipa)
publié le 6 février 2017 à 18h16

Plutôt que de seulement détenir les codes de la musique de l'époque, le Londonien Jamie Smith, 29 ans, plus connu sous l'alias Jamie xx, les ouvre et les améliore. Sur I See You, le troisième album du trio The xx, paru début janvier, il fait passer à ses compères Romy Madley Croft et Oliver Sim le sas menant du minimalisme pop introverti aux hymnes affirmés dès le galvanisant titre d'ouverture Dangerous. Grandi par des tournées à rallonge et des DJ sets assurés seul devant des foules monumentales, l'ancien timide vient blinder la fragilité inouïe de ses deux compères rencontrés à l'école alors qu'ils n'avaient que 11 ans, avec des samples gonflés d'un esprit de fête et de sa culture versatile. C'est étrangement ce même amour pour ce dancefloor, où sa timidité s'évapore, qui lui donne les clés en février du Palais Garnier avec le ballet Tree Of Codes de Wayne McGregor, sur lequel il fera un casse électronique dans son propre langage.

Votre album solo In Colour semble avoir déteint sur le troisième album de The xx, bien plus enjoué et moins minimaliste, est-ce parti d’un élan commun ?

Nous nous étions tous les trois retrouvés à travailler sur mon album solo et on y avait pris grand plaisir. Il n'avait pas à être un album de The xx, on n'aurait pas besoin de le jouer live, et ça a fait tomber quelques barrières. On a continué dans cette voie tous les trois. Notre premier album était composé naïvement, les gens ont aimé et ont vanté l'espace qu'il y avait dans notre son et il a été difficile psychologiquement de gérer cette attente sur le deuxième album, Coexist - d'ailleurs ça s'entend. Mais I See You est l'album sur lequel je n'ai envie de rien changer, on a aussi forcément gagné en confiance, il y a un grand écart entre avoir 18 et 28 ans.

Vous avez collaboré avec les artistes urbains Young Thug et Popcaan, remixé un album de Gil Scott-Heron, tout en étant un tiers d’un groupe presque devenu synonyme de musique «indie». Pourquoi était-il si important d’ouvrir les frontières entre les genres ?

Mes goûts musicaux sont devenus de plus en plus étendus et c’était pertinent, au vu de la façon dont les gens consomment la musique aujourd’hui. J’ai commencé par écouter les disques de soul de mes parents et j’ai retrouvé cette musique que j’adorais dans des samples quand, jeune ado, en faisant du skate, j’ai découvert le hip-hop et l’electro. Ça m’a très vite donné envie de découvrir comment était fabriquée cette musique et ouvert d’autres horizons.

Quels sont vos premiers souvenirs en club à Londres ?

J’ai commencé à fréquenter les clubs de Brixton quand j’allais encore à l’école, on y jouait de la drum’n’bass et du dubstep, c’était l’époque où il n’était pas encore devenu horrible et américanisé. Et puis, avec Romy et Oliver, nous avons commencé à aller dans des clubs plus indés - ceux où l’on pouvait rentrer, du moins, car on n’avait que 16 ans.

Avez-vous composé de la même façon pour la création Tree Of Codes, dansée par le Ballet de l’Opéra de Paris et du studio Wayne McGregor, que pour les gens qui dansent en club ?

J'ai été frappé par la physicalité du livre de Jonathan Safran Foer, dont les pages sont sculptées. J'ai vite trouvé que certaines ressemblaient à des mélodies, comme elles peuvent apparaître sur l'écran d'ordinateur, ça a été mon point de départ. Je ne savais pas grand-chose de la danse classique avant Tree Of Codes. J'avais fait des démos que j'ai testées en me retrouvant seul avec ces danseurs, dans une petite salle. C'était très puissant, je ne m'attendais pas à être si ému. Cela a beaucoup contribué à ce que j'ai écrit par la suite, mais je n'ai pas eu peur de faire une musique que j'aurais aussi bien pu jouer en club. Il fallait que ce soit un challenge autant pour eux que pour moi. J'aime beaucoup la juxtaposition des époques, qui permet à ma musique de résonner au Palais Garnier ou à l'Opera House de Manchester où avait eu lieu la première. Pour autant, je n'aimerais pas que la musique électronique devienne académique. Elle est née chez les gens qui faisaient des fêtes chez eux sans argent et ne devrait jamais trop s'éloigner de ça.

La musique est immatérielle à notre époque. Alors, lui donner des corps avec des danseurs, est-ce une façon de lui redonner une physicalité ?

Je n'y ai pas pensé de cette façon, mais je ne suis pas contre le fait d'avoir un jour des danseurs sur scène avec The xx. La physicalité de la musique est quelque chose que je chéris, je collectionne les vinyles et j'aime la nostalgie qu'on en retire en opposition avec la musique qui va vite aujourd'hui, en particulier les scènes. Désormais, plus rien ne naît de l'underground mais sur le Web, et c'est souvent un flash plutôt qu'un mouvement. La dernière scène à avoir émergé doit être le grime [mélange de hip-hop, UK garage et jungle aux textes bruts qui a émergé à Londres au début des années 2000, ndlr]. Et si celui-ci bénéficie déjà d'une résurgence aujourd'hui, c'est parce que c'est ce qui parle aux gens. Mais je pense que ce qui va vraiment durer, c'est l'éclectisme actuel qui nous permet d'écouter tout ce qu'on veut, sans esprit de chapelle et sans que cela fasse de nous des suiveurs.