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Libération
Interview

Higelin «La mort, ce n’est désagréable que pour ceux qui restent…»

En 2010, Jacques Higelin était invité comme rédacteur en chef d’un jour à «Libération». Propos choisis.
publié le 6 avril 2018 à 20h46

En février 2010, à l'occasion de la sortie de l'album Coup de foudre, Libération avait demandé à Jacques Higelin d'être son rédacteur en chef d'un jour. Une journée poétique et décousue où le chanteur avait balayé avec la rédaction l'actualité du moment et revisité sa carrière. Extraits.

La musique, ça a commencé comment ?

Môme, je voyais La Nouvelle-Orléans en rêve, par la musique. Je remontais le ressort du phonographe et je m’allongeais très vite pour pas rater le début. Crrr, crrr, je fermais les yeux. Et là, je recevais des images pendant trois minutes, des musiciens en train de jouer, les bars enfumés, les rues, les enseignes. Je me repassais toujours les mêmes 78 tours parce que je voulais VOIR. Ça me bouleversait parce que j’avais l’impression de faire un super saut dans le temps.

Votre succès a été plutôt tardif…

Quand ça a vraiment démarré, j'avais déjà 37 ans. Mais je faisais du cabaret, du théâtre, des films, j'accompagnais des gens, j'étais pas trop inquiet. BBH  n'a pas marché très fort. On a vendu 5 000 ou 6 000 albums. De quoi survivre. A partir d' Alertez les bébés , j'ai senti un truc qui a pris. Grâce aussi au directeur de Pathé Marconi. Après Irradié , qui avait encore moins marché que  BBH , il m'a demandé de venir dans son bureau. Je lui ai dit d'emblée : «Si ça marche pas, je comprendrais que vous me foutiez dehors, moi j'ai fait le disque que je devais faire.» Il m'a dit : «Continuez, faites-en un troisième, on verra après.» Il n'y a pas grand-monde qui ferait ça aujourd'hui. Alors on a fait  Alertez les bébés , à Hérouville, en même temps que David Bowie et Iggy Pop.

En 1998, après Paradis païen, vous vous retrouvez sans maison de disques…

Comme j'avais été viré de Warner, j'ai réécouté tous mes albums d'une façon très critique, sans me faire de cadeau. Il y a quand même des chansons qui étaient vraiment mal servies, où je ne chantais pas assez bien. Et il y a des disques qui sont vraiment réussis.  , c'était un bel album, la réalisation surtout avec Jacno qui avait amené plein de musiciens géniaux. J'aimais aussi beaucoup BBH , qu'on a fait à trois, mixage compris, en huit jours, dans un studio de Pathé Marconi.

Quand on a écrit 200 chansons, on choisit comment ce qu’on joue en concert ?

C'est intemporel les chansons. Si c'est bien, c'est bien. On peut jouer  Est-ce que ma guitare est un fusil ? , c'est chaud, c'est lyrique, c'est l'esprit d'un rock qui est vivant, ça ne peut pas vieillir…

Vous écrivez souvent sur la mort…

La mort, ce n’est désagréable que pour ceux qui restent… C’est une déchirure de voir souffrir un ami. Mais certains sont d’une noblesse, d’une dignité exemplaire. Regardez Jacno, Fred Chichin, Bashung… Avec Alain, on a eu la chance de se voir et de parler ensemble toute une nuit. C’était vraiment un très beau mec, un ange.

L’écriture est-t-elle compulsive pour vous ?

L’inspiration me vient souvent à l’aube. Quand tout le monde dort, tu as l’impression que ceux qui veillent ramassent les rêves des autres. L’inconscient se met en mouvement malgré moi, il est bouillant. Il faut la grâce, l’instant magique. Le style, ça compte beaucoup. Tout le monde parle de la même chose finalement : l’amour, la vie, la mort, avec toutes les déclinaisons. Le style, c’est le groove de l’écriture, c’est le côté chantant. Que ce soit Genet, Rimbaud… Victor Hugo, ça chante ! Chez lui, chaque phrase est un chef-d’œuvre, une envolée. Si tu oses prétendre être un poète après ça… Moi, j’écris des chansons, c’est déjà pas mal.