The Internet a la fibre pour calmer son époque. Connecté à son passé et à ses racines funk, r'n'b et soul, le collectif fait converger l'énergie de ses membres sur son album le plus relâché et le plus réfléchi à la fois. Fondé il y a huit ans autour de Syd Bennett et du producteur Matt Martians, alors tous deux membres du collectif rap californien Odd Future (désormais fracturé), The Internet opérait une rupture stylistique avec ses camarades tapageurs, autant dans le fond que la forme. Sur son précédent album, Ego Death, en 2015, le groupe invitait Janelle Monáe, Tyler, the Creator et Kaytranada ; il se recentre sur ses propres ressources sur Hive Mind («esprit de ruche»), expression soufflée à Martians par ses lectures de comics Marvel pour désigner un ego collectif.
Etreinte solaire, ce quatrième album est un jam béat, poli, très distancié des premières expérimentations de la bande sur l'album Purple Naked Ladies. L'album doit beaucoup de son harmonie à la voix de Syd Bennett, l'une des premières figures ouvertement gay du hip-hop qui avait démarré ses activités de DJ dans un home-studio construit chez ses parents. Ses velléités de productrice ont été encouragées très jeune par son oncle Mikey Bennett, producteur de tubes reggae qui l'emmenait sous son bras en Jamaïque. Elle avait attendu The Internet pour découvrir sa voix, qui a gagné en bravoure depuis son brillant essai solo Fin, sorti l'an dernier. Ce timbre au falsetto mousseux - que Pharrell Williams a comparé à des nuages - a un effet smooth sur les productions les plus minimalistes de Hive Mind, comme sur Bravo, avec sa basse frondeuse et sa rythmique aux sursauts industriels étouffés. Ce titre, qui ne fera pas date, est au moins le témoin de la grande liberté du collectif, du désintérêt total de ses membres à se faufiler dans le moule de l'efficacité, même s'ils en sont très capables, ainsi que le prouve le titre très Neptunes La Di Da. Steve Lacy, guitariste de 20 ans qui a rejoint le collectif dès le second album, excelle sur B eat Goes On, où il tente d'évacuer la pression d'un début de relation, ses vapeurs mimées par des synthés subliminaux. Il se sauve dans un solo de batterie, laquelle est parfois programmée, parfois en dur, mais chaque fois un socle au premier plan dans le mix. Le reboot d'influences old school se fait sans jamais rien forcer, au point d'offrir au funk, genre qu'on a cru un temps expiré, un retour en grâce dégraissé de ses excès de basses et de cuivres autopastichés. Pendant que le Californien Dâm-Funk collabore avec Christine and The Queens, le funk à papa se fait bien grignoter - et régénérer - par une nouvelle génération qui explore ses trésors culturels. Rappelons que George Clinton s'était retrouvé invité sur un album de Kendrick Lamar et que Syd a collaboré avec la légende Roy Ayers. Sur le single Roll (Burbank Funk), The Internet donne un cadre très laid-back et distancié de son appréciation actuelle du genre. Les invitations à jouer les prolongations collectives sur Hive Mind, loin des egos isolés et désolés des projets solo du r'n'b actuel, sont un appel à la reconnexion qui donne envie d'y répondre.