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Musique : c’est le bel ennui de Noël

Comment pourrir le réveillon entre la dinde chaponnée et la bûche.
(Photo DR)
publié le 14 décembre 2018 à 17h56

La magie de Noël est de retour. Avec, dans la foulée, son amie la Saint-Sylvestre et son cortège d’overdoses (foie gras, chocolat, bons sentiments et résolutions). Ce qui est un moment de joies simples pour quelques-uns est pour d’autres simplement une épreuve. C’est à eux que nous avons pour une fois pensés avec cette playlist «antiréveillon» remplie de mauvais sentiments.

1 The Sonics, «Don’t believe in Christmas»

Même si c'est pour pendre l'homme en habit rouge au sommet du sapin dans les chansons, la tradition du disque de Noël est si solidement ancrée dans la mentalité anglo-saxonne que, dans les années 60, les vandales du garage ont également sacrifié à l'exercice. Avec dans le rôle de Santa Claus qui descend torché de la cheminée, ce furieux groupe de Tacoma. Les auteurs des virulents The Witch ou Strychine participent à l'hiver 1965 à l'album de Noël de leur label, Etiquette, en compagnie de leurs camarades lutins The Wailers et The Galaxies. Gerry Roslie, le cerveau de la formation, signe une composition tout en morgue et humour, sur un mode hard-rockabilly, où il affirme dans le refrain : «I don't believe in Christmas, 'cause I didn't get nothin' last year.» C'est effectivement une bonne raison pour ne pas déposer ses petits chaussons sous l'arbre

2 Sufjan Stevens, «That Was the Worst Christmas Ever»

Coutumier des idées pharaoniques plus ou moins menées à terme, comme ce projet foufou de sortir un album par Etat américain resté en rade après les seuls Michigan et Illinois, l'immense chanteur néofolk de Detroit a également publié en 2006 un coffret de cinq CD de ses propres chansons de Noël. En réalité, une compilation de morceaux inédits que Stevens offrait chaque 25 décembre à ses proches depuis 2001. Un cadeau un brin empoisonné puisque la plupart du temps, il chante l'événement sous l'angle «défaite de famille», avec bûche dans la gueule plutôt que réconciliation autour des huîtres et du chapon. Comme cette chanson poignante, à la mélancolie à couper au couteau, dans laquelle un père s'emporte contre ses enfants. L'histoire d'une «Silent night, holy night, silent night»«nothing feels right». Cela rappellera sans doute des souvenirs à beaucoup. Hélas.

3 The Pogues feat. Kirsty MacColl, «Fairytale of New York»

Les Britanniques sont formidables. Alors qu'à sa sortie en 1987, Fairytale of New York, le duo formé par Shane MacGowan, le chanteur édenté des Pogues, et la regrettée Kirsty MacColl dut subir les foudres de la censure pour cause de gros mots, cette chanson d'amour acrimonieuse est entrée quatorze fois dans le top 20 britannique depuis trente ans au gré des rééditions. Mieux, depuis sa sortie, elle s'est écoulée à plus de 1,5 million d'exemplaires et reste, en Angleterre, la chanson de Noël la plus jouée du XXIe siècle. Eh oui, entre la dinde et le chutney, les sujets de Sa Gracieuse Majesté chantent en famille «Tu ne vaux rien / Tu es un punk / Tu n'es qu'une vieille pute camée / Tu n'es qu'un ver, une limace» avant de se souhaiter un «Joyeux Noël ton cul / Je prie Dieu pour que ce soit notre dernier».

4 Bérurier Noir, «La Mère Noël»

Décidément, les punks savent honorer Noël. Sorti en 1985 sur un maxi 45 tours marquant la charnière entre les deux périodes des Bérus, celle des squats et de la noirceur minimaliste guitare-boîte à rythmes à laquelle succédera la fanfare clownesque des concerts à l'Olympia, la Mère Noël est un conte dans lequel l'homme en rouge et son épouse finissent dans la gamelle du sous-prolétariat : «Où est passée la Mère Noël ? / Ils l'ont fait cuire dans la cheminée.» Tino Rossi s'en est retourné dans sa tombe.

5 The Dead Kennedys, «Too Drunk to Fuck»

C'est bien entendu ainsi que se termine tout réveillon réussi. Faut-il traduire ce titre, composé en 1980 par l'immense Jello Biafra, l'un des parrains du punk américain alors au sommet de son art ? A ceux qui ne seraient vraiment pas familiers avec la langue de Shakespeare, même si l'auteur de Hamlet n'a rien à voir là-dedans, nous pouvons dire que cet hymne no future, lancé par un mémorable riff de guitare, évoque sans détour les déboires d'un jeune homme ayant dansé toute la nuit et consommé des bières sans modération (seize, précise l'auteur) qui se retrouve bien incapable de compter fleurette à sa jeune amie. La chanson se conclut tout en finesse sur l'enregistrement d'un homme en train de vomir. Ça lui apprendra.