La bataille a été rude pour que les femmes accèdent enfin aux platines de la scène électronique. Si aujourd’hui les Nina Kraviz, Charlotte de Witte, Deena Abdelwahed ou The Black Madonna peuvent largement rivaliser avec leurs confrères masculins, c’est certainement grâce à l’activisme de ces pionnières du début des années 90.
1 - Sharon White
C’était un grand honneur que d’officier derrière les platines de The Saint, haut lieu du clubbing disco gay new-yorkais entre 1980 et 1988. Et Sharon White a été la première femme à s’y coller. Difficile de faire plus pionnière. D’autant plus qu’elle fut également la seule et unique femme à jouer au légendaire Paradise Garage, le club du fameux Larry Levan, l’homme qui a donné ses lettres de noblesse au DJing. Le CV de cette Afro-Américaine de 64 ans qui a démarré à la radio en 1972 est un résumé de toute la culture club d’alors : Studio 54, Limelight, Roxy, Sound Factory, Warehouse et même le Palace à Paris. Surtout, Sharon White était la spécialiste des sets marathons qui pouvaient durer douze heures. Après s’être retirée en 1994, elle fait un come-back dix ans plus tard, mais en abandonnant le disco pour la trance. Etonnant.
2 - Kelli Hand
Les débuts de la techno de Detroit sont marqués par une présence exclusivement masculine. Enfin, presque. Car une femme a réussi à émerger, Kelli Hand, alias K-Hand. C’est pourtant à New York qu’elle découvre la musique électronique, au Paradise Garage. De retour dans sa ville natale, à la fin des années 80, elle démarre une résidence dans un petit club gay et lance rapidement son propre label, Acacia, en 1990. La qualité de ses productions, qui mélangent la chaleur de la house et la puissance de la techno, attire vite l’attention sur elle. Paradoxalement, à une époque pré-Internet où les infos sur les artistes underground ne sont pas facile à trouver, rares sont ceux qui, à l’achat de ses disques, savent qu’ils ont affaire à une jeune femme noire ! Toujours active, K-Hand a signé récemment un maxi sur Trip, le label de la superstar Nina Kraviz. Comme un symbole.
3 - Kemistry & Storm
Difficile d'affirmer que la scène drum'n'bass du début des années 90 a laissé une grosse place aux filles pour s'exprimer. Pourtant, c'est aux côtés de Goldie, un des leaders du genre, que Kemi Olusanya, alias Kemi, et Jane Conneely, alias Storm, développent à partir de 1994, Metalheadz, l'un des labels mythique de la drum. Originaires de Northampton, dans le centre de l'Angleterre, les deux jeunes femmes, DJ émérites, sont responsables d'un des meilleurs albums mixés de la série fameuse des DJ Kicks, où des pointures aussi prestigieuses que Carl Craig, Marcel Dettmann ou Moodymann se sont livrées à l'exercice. Kemistry & Storm, c'est un style où la déferlante du rythme laisse, telle une respiration, de la place à un chaleureux esprit quasi soul-funk. Malheureusement, cet album marquera la fin de leur collaboration puisque Kemi meurt d'un accident de la route du côté de Winchester le 25 avril 1999. Triste.
4 - Roussia
La French Touch était-elle uniquement une affaire de mecs ? Si l'on en croit les têtes d'affiche Daft Punk, Air, De Crécy, Cassius, la réponse est évidemment oui. Pourtant, de nombreuses femmes ont agi dans l'ombre. Comme Marie Djanoumoff, alias Roussia, un mannequin qui sort en 1988 Je suis rousse, sous influence electro-hip-hop, un 45-tours chez Columbia en hommage à sa belle crinière. Pas vraiment un carton. Mais au début des années 90, elle laisse tomber les podiums des défilés et la chanson pour s'acheter des platines et devenir l'un des DJ les plus en vue de Paris catégorie house. Rattachée au crew de la boutique BPM, «le» magasin où l'on dénichait alors les meilleures galettes électroniques, Roussia a écumé pendant dix ans le Rex et les Folies Pigalle. Depuis, on a perdu sa trace.
Sextoy
La carrière de Delphine Palatsi, décédée en 2002 à 33 ans, n’a malheureusement duré qu’une petite dizaine d’années, mais elle a marqué les esprits. Sous le nom de Sextoy, cette activiste parisienne a ouvert bien des pistes. Dès 1993, elle mixe au Scandalo, l’un des rares bars lesbiens de la capitale où elle impose un son oscillant entre hard house, techno et rock, a des années-lumière de la chanson française souvent kitsch qu’on entend dans les bars de filles à l’époque. Mais c’est en faisant de son corps un véritable champ d’expression (tatouages, sourcils transformés en une suite de points, canines limées…), un peu à la manière de la plasticienne Orlan, qu’elle deviendra l’égérie de la turbulente scène qui se cristallisera autour du microclub du boulevard Poissonnière, le Pulp. Héroïne de la nuit underground et du néoféminisme naissant, Sextoy participa à sa manière à l’explosion des questionnements sur le genre si présents aujourd’hui.