A défaut de résister à la tentation du calembour, évacuons d'emblée la métaphore pondéreuse qui voudrait que Canine soit une chanteuse incisive. D'autant que le ton badin nous éloignerait du profil de la trentenaire à la peau claire, pantalon et sweet à capuche noirs, qui, si elle n'a rien d'une anachorète, ne penche pas non plus du côté de l'extravagance chamarrée. Non, Canine, c'est du sérieux. Suffisamment en tout cas pour verser backstage des larmes de colère, au sortir d'un concert jugé indigne - alors que, vu depuis la salle de banlieue où elle joue ce vendredi-là, le public, lui, acclame la prestation. Ou pour citer, façon mantra, Charles Bukowski, l'exégète arsouillé des fêlures de l'âme : «Dans la vie, ne gagnent que ceux qui s'entêtent et auxquels la chance sourit […]. Mais la plupart des humains lèvent le pied et échouent.»
De fait, la persévérance n'a rien d'une simple vue de l'esprit chez celle qui a navigué plus de quatre ans avant de boucler son odyssée musicale, ballottée dans une industrie souffreteuse où les labels discographiques se soucient trop souvent d'aller avant tout dans ce qu'ils imaginent être le sens du vent. «Aujourd'hui, il me semble de plus en plus difficile d'être artiste, et je ne crois plus dans les projets tièdes, plaide pro domo Stéphane Espinosa, le directeur de Polydor, qui l'a signée. Or, Canine tranche par ses convictions, hors du temps et des formats, qu'elle ne défend pas comme des vérités absolues. Car c'est aussi quelqu'un dans l'écoute et l'observation, qui accorde beaucoup d'importance à l'humain et me paraît plus mue par un désir d'accomplissement personnel, que de succès immédiat.»
Ainsi, sort de la chrysalide l'enfant qui, autrefois, «ne disait rien et regardait tout avec inquiétude, les yeux écarquillés». Silhouette d'une «hypersensible» aux nuits cauchemardeuses, tuant l'ennui en jouant dans le jardin ou avec son chat, «en attendant de devenir adulte», animée par la conviction qu'à ce moment-là, «quelque chose allait enfin arriver».
Un pseudo et une trentaine d’années plus tard, déboule la brune Canine, musicienne à l’electro-soul addictive, à la fois épidermique et altière, sensuelle et luxuriante, soutenue par un univers visuel sophistiqué (quand bien même le premier clip n’aurait coûté que 700 euros !) et des shows performatifs non moins ambitieux, qui font jaser. Car ça n’est pas tous les soirs qu’on voit arriver sur scène une lévite, le visage en partie masqué par un assemblage de plumes noires - qu’elle a elle-même confectionné -, entourée de quatorze officiantes, musiciennes et choristes !
Un hiératisme sororal qui aura largement de quoi convertir l'aventure artistique en manifeste genré, volontiers assumé comme tel, cependant que pondéré. «La notion de parité me donne l'impression de faire la manche. Je trouve l'écriture inclusive illisible et ne me sens guère à l'aise avec les hashtags. En revanche, le plus important à mes yeux reste cette libération de la parole, synonyme d'une solidarité accrue, épaulée par les hommes qui le veulent bien», développe la mezzo-soprano, réclamant avant tout que les femmes aient voix au chapitre.
De l'égalité des salaires, au désir de voir figurer le clitoris dans les manuels scolaires de sciences naturelles («dire qu'à 15 ans, je ne savais pas moi-même à quoi ça ressemblait !»), Canine n'en démord pas. Tout en faisant cohabiter avec tact les deux sexes en têtes de cordée, d'Albert Camus et David Lynch à sa maman, «modèle d'altruisme, de bonté et d'intelligence» qui, entre cours de piano (dès 4 ans), de danse, et ateliers dans les musées, a su favoriser l'appétence de culture chez une gamine rétive, que d'aucuns auraient eu tôt fait de classer «petite conne». Et qui connaîtra une première «consécration» à 11 ans, en jouant dans une adaptation théâtrale à succès de la Famille Addams, qui lui offrira un joli pactole, claqué, une fois la majorité atteinte, en voyages, avant le retour sur terre (cantinière, vendeuse, barmaid, prof de chant).
Parisienne «très attachée au XVIIIe arrondissement», actuellement en recherche d'appart pour cause de séparation amoureuse contrariant un désir de maternité que seul un contexte idoine permettrait d'assouvir, l'adepte du yoga matinal sur fond de Nocturnes de Chopin tâche cependant de renouer une fois par mois avec ses attaches méridionales. Où elle redevient Magali Cotta, rejeton d'une lignée régionalement illustre. Ancien résistant aimant le foot et les femmes, le grand-père SFIO, Jacques Cotta, fut, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, «le seul maire de gauche de Nice», resitue sans l'avoir connu, mais avec admiration, la petite-fille qui, dégoûtée des politiciens de carrière, se souvient n'avoir voté qu'une seule fois dans sa vie - en 2007, pour José Bové, «sympa» puisque démonteur de McDo.
L’aïeul révéré aura quatre enfants : la journaliste Michèle, entre autres galons future directrice de France 2, et l’économiste, Alain, côté canal officiel, avec lequel aucun contact ne sera entretenu ; l’avocate, Françoise, et le journaliste, Jacques, nés, eux, d’une union illégitime et romanesque, notamment consommée sans modération une année durant dans la suite d’un palace de la Riviera.
Documentariste très engagé sur le versant social - et «souvent familialement absent» -, Jacques Jr., va convoler, lui, avec Sylvie, prof de maths. Ensemble, le couple aura un fils aîné, devenu avocat, et donc Magali. Siglée middle class, la petite tribu réside dans une maison à l'ombre du stade du Ray. Puis, pour des raisons professionnelles, s'installe à Paris. Avant de redescendre dans le Sud, où les parents sont à nouveau établis, cette fois dans la grandiose vallée de la Roya, réputée havre de bienveillance pour migrants égarés dans un secteur si ordinairement hostile. «Malgré les barrages de police, les gens se débrouillent, se parlent. Une fois par mois, mon père organise une université populaire. On partage les repas, les gilets jaunes y sont chez eux, et il y a beaucoup d'abeilles», loue la citadine, amoureuse de la nature - et plongeuse chevronnée -, persuadée que le trop plein d'injustices et d'humiliations fera péter le système un jour ou l'autre. Une sombre prédiction que l'écolo raccroche juste aux branches de l'autodérision : «Mais le problème, c'est qu'à force d'être touchée par tout, les défavorisés, la cause animale, les LGBT… je risque moi-même de ne jamais m'en sortir.»
1982 Naissance à Nice.
2002 Première mise en scène.
2014 Création de Canine.
Février 2019 Dune, premier album.
30 mars En concert à Rennes (festival Mythos), puis Printemps de Bourges, Francofolies de La Rochelle…