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Musique

Voix de disparition

Du jour au lendemain, ces musiciens n’ont plus donné de nouvelles. On les cherche encore.
Guitariste de Manic Street Preachers, Richey Edwards s’est évaporé à 28 ans en 1995. (Photo Dalle. APrF)
publié le 29 novembre 2019 à 17h51

Ils sont descendus un matin acheter des cigarettes et ne sont jamais revenus. Ces histoires de disparitions sans explications ont été le fonds de commerce de Jacques Pradel et de son émission Perdu de vue sur TF1 dans les années 90. Mais il n'y a pas qu'André Gaillard qui rechercha éternellement son frère ennemi disparu, Teddy Vrignault. Dans la musique aussi, il y a des cas étranges.

Alain Kan

Sa famille lança justement un appel dans Perdu de vue pour retrouver cette pittoresque et légendaire figure de l'underground français, disparu sur un quai de métro le 14 avril 1990. Avant cela, Alain Kan, homosexuel affiché quand cela ne se faisait pas et toxicomane heureux qui chanta Heureusement en France on ne se drogue pas, avait connu une carrière fantasque, marquée par la censure de nombreux de ses titres interdits de radio. Débutant en 1963 dans la variété, avec des chansons d'amour très classiques, il devient une des figures du cabaret l'Alcazar de Jean-Marie Rivière, un des creusets des avant-gardes des années 70. Vient la période glam-rock et l'obsession pour David Bowie - qu'il reprend à l'occasion -, puis le punk en 1977, avec des titres enregistrés avec le groupe Gazoline où s'illustrait Fred Chichin, futur Rita Mitsouko, à la guitare. Dans les années 80, son ultime album paraît chez New Rose et il collabore avec Christophe, dont il est le beau-frère. Où es-tu, Alain ?

Connie Converse

New York, fin des années 40, la Beat Generation n'a pas encore pris la route. La vingtaine, Connie Converse est partie de son New Hampshire natal pour conquérir la ville qui ne dort jamais avec sa plume. Mais elle ne se contente pas d'écrire, elle compose et chante à la guitare de drôles de chansons dans un style inédit mêlant country, blues et folk. En 1954, son ami Gene Deitch enregistre ses somptueuses compositions diaphanes, mais sans lui apporter de notoriété (elles ne seront rééditées qu'en 2009 sur la compilation How Sad, How Lovely). Lassée, Connie Converse quitte New York en 1961 pour rejoindre son frère professeur d'université à Ann Arbor, dans le Michigan. Au cours de la décennie suivante, elle papillonne entre divers jobs et commence à sérieusement picoler. Jusqu'à ce jour d'août 1974 où, après avoir évoqué ses envies de voyage dans des lettres envoyées à ses proches, elle prend la route avec sa voiture. On n'a jamais plus eu de ses nouvelles.

Jim Sullivan

Inutile de chercher ce nom au générique d'Easy Rider. Pourtant, le chanteur californien fait bien une apparition dans le film de Peter Fonda. Ce n'est pas pour cela qu'il est passé à la (relative) postérité. Dans le Los Angeles de la fin des années 60, Sullivan traîne sa guitare dans le milieu hippie branché. Ses chansons entre folk-rock psyché et pop baroque intriguent sur les albums U.F.O. (1969) ou Jim Sullivan (1972). Mais ses disques, malgré un talent évident, ne recueillent qu'une maigre écoute. En 1975, Jim décide de tenter sa chance à Nashville, où on lui a donné des contacts. Sauf que sa voiture sera retrouvée à Santa Rosa au Nouveau-Mexique, guitares et bagages à l'intérieur, mais sans trace de Jim. Enlevé par les aliens ? C'est l'histoire qu'il racontait des années auparavant dans la chanson U.F.O. Frissons.

Richey Edwards

Le disparu le plus célèbre du rock britannique. Connu pour ses combats contre l'anorexie, la dépression et l'automutilation, le guitariste et parolier du groupe gallois Manic Street Preachers s'est évaporé le 1er février 1995 alors qu'il devait s'envoler pour une tournée américaine, abandonnant sa voiture au pied du pont Hafren, qui relie le pays de Galles et l'Angleterre. Depuis, la presse se demande chaque année ce qu'est devenu le musicien de 28 ans, officiellement déclaré mort en 2008. Début 2019, coup de théâtre ! Un livre écrit avec l'assentiment de sa sœur Rachel ouvre de nouvelles pistes. Fasciné par l'écrivain reclus J.D. Salinger et l'histoire de sa propre grand-tante, qui a vécu quatre-vingts ans en ermite, il aurait planifié sa disparition et vivrait dans un kibboutz en Israël. Malgré l'appel à témoins lancé par le Jerusalem Post, personne ne s'est manifesté. Pendant ce temps, les Manic Street Preachers conservent sur scène un micro à l'emplacement qu'occupait Richey et déposent sur un compte séparé les royautés qu'il aurait dû toucher depuis 1995. Au cas où.

Gemini

Le monde de la dance music américaine comprend lui aussi son lot de disparitions, même si celle de Spencer Kincy est devenue synonyme de chasse au dahu. Comptant parmi les producteurs les plus respectés de la scène house de Chicago, Gemini en a aussi été l’un des plus prolifiques : quatre albums en deux ans, 200 morceaux enregistrés entre 1994 et 1999, puis plus rien. Gemini s’évanouit dans la nature. Depuis vingt ans, son sort interroge. Certains affirment l’avoir vu mendier à Los Angeles, d’autres qu’il a trépassé dans une ruelle. Chicago s’emballe… Les années passent et le mystère s’épaissit quand deux labels européens repressent, au milieu des années 2010, ses œuvres les plus marquantes, affirmant que ces sorties sont validées par Gemini lui-même. Aux dernières nouvelles, il serait vivant, en forme, mais invisible.