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Libération
La Pochette

Gang of Four, politique du détournement

Dès la pochette «situationniste» de leur premier album, engagement politique et rock acéré ont toujours fait bon ménage chez ces post-punks britanniques.
Gang of Four Entertainement (Parlophone/Warner Music)
publié le 21 février 2020 à 17h11

Le cow-boy et l'Indien L'image détourée d'un indien serrant la main d'un cow-boy est extraite d'un des nombreux films adaptés dans les années 60 des livres écrits par le très populaire romancier allemand Karl May. Ces westerns racontant les aventures du chef indien imaginaire Winnetou furent extrêmement populaires en Allemagne, notamment de l'Est. Sur la pochette, les visages ont été grossièrement coloriés pour n'être plus qu'un stéréotype racial, le Peau-Rouge et le Blanc. Le texte serpentant entre les trois différents cadrages de l'image dit : «L'Indien sourit, il pense que le cow-boy est son ami. Le cow-boy sourit, il est heureux d'avoir dupé l'Indien, il va pouvoir l'exploiter.» Ironiquement, si Gill et King ont imaginé ce visuel, c'est la société hollandaise Cream, une des plus grosses boîtes de design de disques habituée à collaborer avec le tout-venant de l'industrie de la musique, qui l'a réalisée.

Une anti-pochette En ces glorieuses années post-punk, entre 1978 et 1984, où on «déchire tout et on recommence», pour paraphraser le titre du livre du journaliste anglais Simon Reynolds Rip It Up and Start Again, nombre d'«anti-pochettes» de disques sont apparues dans les bacs. On a déjà évoqué ici (Libération du 30 novembre) celle du Go2 de XTC et son long texte sur les ficelles de l'industrie de la musique en guise de couverture anticonsumériste. Publiée un an plus tard, en 1979, la pochette du premier album de Gang of Four, un autre groupe anglais engagé dont la musique associait guitares métalliques singulièrement tranchantes à des éclats de funk blanc, s'inscrit dans cette lignée.

Le rouge Conçue par les deux fondateurs du groupe, le guitariste Andy Gill, qui vient de disparaître, et le chanteur Jon King, que l'intérêt pour l'histoire de l'art et la musique avait réunis sur les bancs de l'école, la pochette d'Entertainement («divertissement») s'inspire directement des détournements réalisés par l'Internationale situationniste durant les années pré et post-68. Ce groupe gauchiste, auquel appartenait Guy Debord, le théoricien de «la société du spectacle», avait pour habitude d'utiliser l'humour comme arme révolutionnaire, remplaçant les bulles des cartoons américains, comme le faisait Raoul Vaneigem, ou les sous-titres de films (La dialectique peut-elle casser des briques ?, détournement d'un film chinois par René Viénet en 1973) pour faire passer de virulents messages anticapitalistes.