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Libération
Critique

Christian Wallumrød, échos persistants

Avec son Ensemble, le pianiste norvégien sort «Many», alchimie de sonorités acoustiques et électroniques au minimalisme improvisé.
Christian Wallumrød (à dr.) et son Ensemble. (Photo Christian Rose. Fastimage)
publié le 8 juin 2020 à 17h56
(mis à jour le 11 juin 2020 à 13h48)

«Le matériel pour cet album a été développé sur une période de quatre ans. Je voulais en quelque sorte élargir la palette sonore de l'Ensemble et chercher différentes façons de faire de la musique avec et pour les musiciens. Pour moi, le processus d'intégrer les instruments électroniques a conduit à des combinaisons de sons imprévisibles et à de nouvelles approches de l'improvisation musicale.» A 49 ans, Christian Wallumrød reste fidèle à la ligne clair-obscur qu'il suit depuis qu'on l'a découvert au sortir des années 90. Qu'il soit en solo, en trio ou comme ici à la tête de cet Ensemble qui, depuis ses géniales Sofienberg Variations, en 2003, a évolué sans changer de cap, il ne cesse d'interroger le rapport ambigu entre le geste spontané de l'improvisation et les écrits soupesés de la composition, embrassant dans ses intimes réflexions aussi bien les traditions séculaires que les esthétiques contemporaines. Tout comme il demeure fidèle à ce dense minimalisme où chaque son semble avoir été ausculté avant d'être sculpté.

C'est tout particulièrement le cas dans cet album, bénéficiant de la touche Helge Sten au mastering, qui, malgré son titre pluriel, rappelle combien ce pianiste norvégien demeure singulier. Many, donc, parce que chaque membre du désormais quintette joue de son instrument (claviers, violoncelle, batterie, harmonium, trompette, saxophone) tout en manipulant des machines électroniques qui produisent d'étonnants échos. Court motif mélodique qui résonne et se démultiplie en mode sphérique, entrelacs de boucles analogiques (qui rappellent l'influence du sérialisme américain chez cet amateur de musiques baroques), développement désynchronisé d'une phrase sujette à de nombreuses oscillations de fréquences, variations bruitistes suivies d'une résolution aux entournures pop… : rien n'est spectaculaire, tout se joue sur les détails (une virgule, un accent, un quasi-silence) dans ce jeu de réflexions entre l'acoustique et l'électronique, deux univers dont Wallumrød a souvent eu à traiter par le passé, en prenant soin d'éviter les chausse-trappes de l'electro-jazz. C'est encore le cas avec cette fertile hybridation, une suite en sept mouvements qui doit s'entendre d'un trait, condition sine qua non pour dépasser l'austérité conceptuelle d'un tel objet-projet et révéler la beauté sensuelle qui se trame derrière ce travail formel.