La paréidolie, ce phénomène qui nous fait reconnaître des visages dans des formes aléatoires - tronc d'arbre, flaque d'eau, etc. - devrait aussi pouvoir s'appliquer à la musique. L'écoute d'une composition s'accompagne, dans notre esprit, d'une superposition de musiciens dont l'artiste reprend les techniques, que nous accueillons sur notre propre toile, surimprimée par des mélodies aimées, que même le temps ne saurait effacer de notre mémoire. Sur son premier album, Your Hero Is Not Dead, Westerman assure : «Ton héros n'est pas mort /Il dort seulement /Derrière les barres auxquelles tu t'accroches.» Il pense à Mark Hollis de Talk Talk, disparu l'an dernier quand le Londonien écrivait l'album, et dont il a retenu l'élévation mélodique. De notre côté, nous songeons sans hésiter à Arthur Russell, violoncelliste et chanteur culte mort du sida en 1992, dont la voix de Will Westerman est une réplique parfaite. Pourtant, le principal intéressé assure en avoir à peine entendu parler. D'autres y reconnaîtront le sensible Nick Drake croisant le fer avec l'emo rap de Drake, mais cette galerie de portraits ajoute plus qu'elle n'enlève à la singularité de ce premier album méticuleux et érudit.
Eloquence
La rencontre avec le Britannique, peu prolifique jusqu'ici, s'appelait Confirmation. Extrait d'ARK, son premier EP paru en 2018, ce tube hypnotique détecté par Radio Nova nous avait renversé par sa basse de synthèse, son phrasé capricant et sa douceur infinie. L'album continue sur cette bonne voie. Enregistré en Algarve, au Portugal, il y a trouvé une nouvelle impulsion moderne et discrète signée Bullion (producteur et collaborateur de David Byrne et Sampha), qui accompagne d'expérimentations électroniques les guitares contemplatives du Britannique.
Entre l'iconoclasme du Hejira de Joni Mitchell, l'éloquence de Robert Wyatt et la sophisti-pop de The Blue Nile, la guitare très présente sur l'album peut sembler périssable et poussive, mais sa tonalité chaude, obtenue à l'aide d'un Organelle, petit synthétiseur à l'apparence d'un jouet dont le programme est alimenté par une communauté très vivante sur le Web, lui transfuse un aspect contemporain qui nous rend complètement addict (le titre Think I'll Stay en fait un bon résumé). Sur un Easy Money en petites coupures, la voix se fait élastique comme du chewing-gum, puis explose fermement.
Ecarts
Avec une boîte à rythmes en fond de cale, des réminiscences soft rock et un halo sur sa voix, Westerman nous absorbe dans ses confessions sur la survie, l'amour et la douleur chronique, avec des textes allusifs, comme laissés en germe. Sur Big Nothing Glow, grand titre r'n'b qui montre les écarts dont il est gracieusement capable, il chante également ses douleurs chroniques : «Sur mon dos, sur un lit king size /Je suis seul /Je contrôle le contrôlable /Je ne me réconforte pas en trompant la mort.» Il nous réconforte pourtant nous, ce qui n'est déjà pas mal.