Voilà le genre de reformation qui aurait pu tourner tout l'été festivalier. Imaginez le seminal quartet du saxophoniste Joshua Redman au grand complet : le pianiste Brad Mehldau, le bassiste Christian McBride et le batteur Brian Blade, enfin réunis plus d'un quart de siècle après MoodSwing, l'album qui les révéla aux oreilles du grand nombre. Forcément, l'affiche avait de quoi attirer le client.
Tout pour plaire
Dans l'argumentaire qui accompagne ce disque, Joshua Redman analyse lucidement la chance dont il a pu bénéficier avec cet éphémère band de jeunes, comme il eut le soutien un an plus tôt de Charlie Haden et Billy Higgins. «Ils étaient sans aucun doute, pour notre génération, parmi les plus accomplis et les plus innovants sur leurs instruments respectifs. Tout le monde voulait jouer avec eux ! Et ils avaient tous des personnalités musicales fortes et charismatiques - destinées à commencer bientôt à poursuivre leurs propres visions.» A l'époque, le trio qui accompagnait le fils de l'immense Dewey Redman lui vola la vedette sur scène, notamment le tout jeune pianiste. On connaît la suite. Qu'en est-il désormais ?
On prend les mêmes et finalement on reproduit une formule qui a tout pour plaire. Le saxophoniste au son chaleureux, tous les codes maîtrisés, séduisant ceux qui ont du jazz une idée relativement classique ; le pianiste, toujours aussi classieux, un sens de la mélodie qui accroche comme peu, non sans glisser quelques chausse-trapes l’air de rien ; Brian Blade, l’homme aux doigts d’or, un débatteur tout terrain, imprimant à sa main le bon tempo ; et puis Christian McBride, pas forcément le cador que la réclame veut faire accroire, mais du solide.
Gêne
Du coup, forcément, ça joue, non sans une réelle interaction. Mais pour quoi donc, c’est une vraie question. A croire que rien ou presque n’a changé, que l’Internet haut débit n’est pas parvenu jusqu’à leurs oreilles, que le réchauffement climatique, les catastrophes en chaîne, enfin la vie sur Terre quoi, ne les a pas vraiment atteints. C’est un peu le sentiment - une gêne point - qu’on ressent à l’écoute de cet opus, sept compositions originales (trois de Redman, deux de Mehldau, une de McBride et une de Blade) qui témoignent toutes d’une science avérée d’un certain jazz, pas forcément incertain. Ce fut déjà l’objet de débat dès 1994, où l’on pouvait légitimement s’interroger sur une esthétique qui coulait de source, peut-être même un peu trop pour sonner du plus juste. Rien ou presque n’a changé vingt-cinq ans après pour les quatre mousquetaires.