Le Tour de France, qui entre dans sa deuxième semaine, est depuis plus de 100 éditions l'événement sportif le plus populaire du pays. Dernière preuve avec la compilation l'Echappée belle, dans laquelle des artistes clament leur amour pour la Petite Reine sur le mode electro, pop ou rap. Une nouvelle étape dans le palmarès des chansons inspirées par la Grande Boucle. Nous en avons sélectionné cinq. Précision : elles ne briguent pas toutes le maillot jaune.
1 - Les Frères Jacques, Bon dieu, où est ce peloton ? (1969)
Qui se souvient de ce quatuor vocal français ? Sa dégaine improbable (collant intégral «moule-burne», éternel chapeau rond) a fait autant pour son succès, entre la fin des années 40 et les années 70, qu'un répertoire atypique éclaté entre gaudriole (la «célèbre» la Confiture) et mise en chansons de poèmes de Prévert. Indissociables de l'orthodoxie d'une certaine ORTF, celle du Grand Echiquier de Jacques Chancel dont ils étaient des abonnés, les quatre complices ont aussi tenté de surprenants pas de côté. A l'image de ce récit halluciné d'un cycliste en détresse sur la route, abandonné par ses camarades. Ce texte malin comico-dramatique signé Jean Schmitt (les Rois mages de Sheila, c'est lui) bénéficie du minimalisme d'une musique entre psychédélisme et bossa-nova tout à fait ancrée dans son époque flower power. Les auteurs ? Georges Blaness et… Michel Fugain. Une belle histoire.
2 - Fred Poulet, Walking Indurain (1996)
Bon, il faut bien évoquer le sujet qui fâche concernant le Tour : le dopage. Parce que oui, pour s’avaler dans la même journée, comme c’était encore récemment le cas, les cols du Galibier et de l’Isoard et la montée de l’Alpe d’Huez, il était préférable de tourner à autre chose qu’à la Tourtel. Un peu avant Lance Armstrong et son palmarès record sous EPO (sept victoires retirées pour abus de pharmacopée), l’Espagnol Miguel Indurain et ses cinq succès consécutifs entre 1990 et 1995 sont l’objet de toutes les suspicions. Mieux vaut en rire. C’est le parti choisi par le déluré chanteur-guitariste français dans une ode bien tournée, entre swamp rock et rockabilly décharné, à la diction parlé-chanté joliment déglinguée. Il fallait bien se mettre dans la peau du personnage.
3 - Dick Annegarn, Agostinho (1990)
Destin tragique que celui de Joaquim Agostinho, le plus illustre des cyclistes portugais. Le seul à avoir décroché un podium sur le Tour (en 1978 et 1979). Irrésistible dans les cols, il continua à courir à un âge avancé alors que nombre de ses confrères avaient depuis longtemps remisé la bicyclette au garage. Il meurt quasiment sur selle, à 41 ans en 1984, des suites d'une chute au Tour de l'Algarve. Tel un Poulidor lusitanien, ce sont plutôt ses secondes ou troisièmes places qui ont bâti une popularité qui a largement dépassé les frontières de son pays. Le Néerlandais (ce n'est pas parce qu'on a chanté Bruxelles qu'on doit être belge) lui rend hommage dans un sprint étourdissant, toutes guitares dehors, entre samba et flamenco. Sans aucun déraillement.
4 - Telex, Tour de France (1980)
Quand il s'agit d'associer vélo et techno on songe immédiatement au Tour de France de Kraftwerk en 1983. Pourtant, dès 1980, un autre groupe, pionnier des synthétiseurs, avait dédié une chanson à la Grande Boucle. Sauf que rien n'est simple avec Telex, et la petite reine de leur Tour n'est pas celle qu'on croit. Ce trio belge formé en 1978 n'a jamais rien pris au sérieux. Ses premiers titres sont des reprises aussi synthétiques qu'ironiques de Twist à Saint-Tropez ou de Ça plane pour moi ralenties et chantées à travers un vocodeur. Candidat à l'Eurovision en 1980 (avant-dernier avec trois points), Telex, emmené par le pianiste et animateur radio Marc Moulin, aimait les canulars, mais cela ne l'empêcha pas de publier cinq excellents albums proto-techno, dont l'influence sur la scène de Detroit fut soulignée par Carl Craig qui remixa leur séminal Moskow Diskow.
5 - Ludwig von 88, Louison Bobet For Ever (1988)
On reste dans la marrade avec cet hymne keupon qui se moque gentiment de l'un des plus grands coureurs français, triple vainqueur du Tour entre 1953 et 1955. «Louison Bobet, tout de jaune habillé, roule, roule seul vers l'arrivée /Louison Louison Louison Bobet file comme un éclair de par les monts, les prés.» Les guitares hurlent, les deux chanteurs encore plus et la boîte à rythmes tambourine comme celle des Bérurier noir, leurs camarades de l'usine Pali Kao, qui, avec les Ludwig von 88, comptent parmi les héros du rock français dit «alternatif» des années 80. Quant à Louison, «le ventre plein d'amphés», il ne peut plus s'arrêter de pédaler. Enfin, en tout cas dans la chanson des Ludwig.