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Libération
TRIBUNE

S’en sortir avec les horreurs

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Chaque semaine, Gérard Lefort revient sur une photo parue dans «Libération».
publié le 11 octobre 2013 à 23h21
(mis à jour le 13 octobre 2013 à 17h00)

La guerre de 14, c'est comme l'an 2000. On nous aurait dit qu'un jour on se mettrait à compter les années en James Bond (001, 002, etc.)… On nous aurait dit qu'un jour on pourrait écrire : «Il y a un siècle, la guerre de 14.» Ce n'est pas seulement une question de coup de vieux et de mémoire en train de se stratifier. Il y a en France, dans la moindre des villes, une telle présence minéralisée de cette guerre-là - tous ces monuments aux morts qui sont comme un cimetière en plus -, qu'on a du mal à concevoir que toute cette boucherie, tous ces disparus appartiennent désormais à un passé nébuleux.

Regarder cette photographie prise juste après l’armistice de 1918 revient à lire la liste des hommes morts sur le monument du village. Ceux-là qui devaient être frères, cousins ou père et fils, puisqu’ils portent le même nom. Celui-ci qui est seul en sa mort. Et puis les âges : 20 ans, 32 ans, guère plus.

Et donc cet autre de la photo, vivant au moment de l’image, mort lui aussi aujourd’hui. Il n’a pas l’air bien vieux avec son faux air de Robert de Niro dans Raging Bull, mais il est peut-être beaucoup plus jeune qu’on imagine, la vie dans les tranchées n’étant pas une cure de jouvence. On voit qu’il n’est pas très grand et on se dit que c’est peut-être sa petite taille qui l’a sauvé de la mitraille, quand les balles sifflaient au-dessus de sa tête alors qu’elles fauchaient plus grand que lui. On note aussi qu’il est un peu boudiné dans son uniforme, qu’il n’a