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Libération
TRIBUNE

Le chérubin clandestin

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Chaque semaine, Gérard Lefort revient sur une photo parue dans «Libération».
Migrants rescapés d'un naufrage à La Valette le 12 octobre. (Photo Darrin Zammit Lupi. Reuters)
publié le 18 octobre 2013 à 18h06

Cette photographie prise samedi dernier à La Valette (île de Malte) est belle. Scandaleusement belle quand on sait que les trois personnes qui y figurent sont des migrants, sans doute venus de Syrie, ayant survécu au chavirement de leur embarcation au large de Malte tandis que trente-quatre de leurs compagnons se noyaient. Mais c’est justement la beauté de cette image qui surpasse son scandale. D’une part, parce qu’on ne voit pas pourquoi les floués de la Terre n’auraient droit qu’à des images floues. Ou moches. Ou fatales : les corps des naufragés sur les plages de Lampedusa. D’autre part, parce que cette beauté fulgure par des sources qui contrarient l’actualité du sujet. Le cadre d’abord, ou plutôt ce double cadre, l’un pas très net dans la partie droite, l’autre presque flou dans la partie gauche. Cet effet de diptyque est un premier trouble, comme si l’un des panneaux allait coulisser sur l’autre ou se refermer sur lui. Autre étrangeté, la buée qui semble nimber l’ensemble et couvrir la photographie comme la patine d’une toile.

Les rabat-joie vont dire que tout cela n’est qu’un hasard, que l’architecture de l’image, probablement prise au téléobjectif, n’est que le résultat d’un écrasement de la profondeur de champ. Et que la buée est celle des vitres du bus où ont pris place les rescapés. Une fois que l’on admet ce qui est sûrement vrai et vérifiable, cependant, le mystère de la beauté insiste, qui tient pour beaucoup au regard de l’enfant, clair et accaparant. A la fois