Récemment encore, lorsqu'on arrivait à Lviv par le train rapide venant de Kiev, l'hymne national ukrainien retentissait sur le quai de la gare, diffusé puissamment par des haut-parleurs. On ne sait si, le 7 mars, une telle fanfare cuivrée a accueilli cette famille de Tatars fuyant la Crimée pour cause de poutinisation de la péninsule ? Ni si, juste après la photo, ils se précipitèrent pour se réchauffer au buffet de la gare de Lviv, mittel- europa notoire (les noms polonais et autrichien de Lviv - Lwów et Lemberg - y apparaissent encore sur un antique panneau d'affichage), où mieux vaut préciser au serveur quand on commande «une vodka, une !» qu'on ne désire pas une grande bouteille mais un petit verre.
Que fait-il là ce club des cinq qui justifie qu'un photographe fixe leur présence ? Ils sont les «touristes» d'une plaie ancestrale : l'émigration contrainte, la fuite. En l'espèce, l'abandon de leur Crimée natale, où l'odeur des Tatars, depuis presque toujours, a l'heur d'indisposer les narines de la sainte Russie.
Le contentieux est vaste, ancien et ambigu. Tour à tour conquérants et vassaux, les Tatars, d'origine turque (entre autres), furent souvent esclavagistes des populations d'Europe centrale au profit de l'empire ottoman puis, au XXe siècle, victimes de déportations staliniennes pour cause de collaboration, très exagérée par la propagande soviétique, avec les occupants nazis de l'Ukraine.
En bonnets et foulards (les Tatars sont pour beaucoup