Le 8 janvier 1936, le jeune Rudi Weissenstein débarque à Haïfa, en Palestine. Il a quitté l’Europe pour toujours et laissé derrière lui sa famille en Moravie et ses amis à Vienne. A 26 ans, il est grand, il a un beau visage un peu maigre, intelligent et sérieux, et un sourire lumineux. Dans ses bagages, le strict nécessaire : sa carte de presse, ses appareils photo et quelques livres, Goethe et Thomas Mann qu’il aime plus que tout.
Quelques dizaines d'années plus tard, il sera devenu l'un des plus grands photographes israéliens du XXe siècle, un de ceux qui ont accompagné la construction du pays. A la manière d'un Doisneau ou d'un Willy Ronis, il a été à la fois reporter, documentariste et portraitiste. Et même photographe de quartier. Ses images, dont la plupart ont été prises dans les années 30 à 70, révèlent un regard empathique sur la vie quotidienne et les moments historiques d'une jeune nation. Un pays qui, à travers son objectif, semble encore innocent et plein d'espoir.
Tel-Aviv 2014. La boutique Pri-Or («fruit de la lumière») se trouve dans la tranquille rue Tchernichovski, à deux pas du très animé marché Carmel. Ben Peter, 37 ans, le maître des lieux, est le petit-fils de Rudi Weissenstein, il a le même sourire que son grand-père. L’endroit est chaleureux et un peu bordélique. En mezzanine, un bureau et une imprimante pour les tirages. Au rez-de-chaussée, des dizaines de cartons d’archives.
Ben est le fils de Michal, la plus jeune fille de Rudi. C’est un ga