Menu
Libération
regarder voir

Prière de ne pas déranger

A la mosquée Tawba de Vendome, le 13 Janvier. (Photo Albert Facelly)
publié le 16 janvier 2015 à 17h06
(mis à jour le 22 janvier 2015 à 16h56)

Cette image est d'une quiétude absolue. Par son sujet - neuf hommes qui prient dans une mosquée -, mais aussi par sa composition. On voit clairement que son auteur, Albert Facelly, s'est installé à quelques mètres du groupe, pour ne pas le déranger. Ce calme tranche avec le capharnaüm de cette dernière semaine, avec la surenchère visuelle où se sont mêlées photos officielles, images de foules, d'amateurs ou de professionnels, souvent emballées par des bandeaux i-Télé ou BFM TV. Publiée mercredi dans Libération, la photo accompagnait une double page consacrée à la montée de la violence contre la communauté musulmane après la tuerie de Charlie Hebdo. Le journal publiait un reportage, signé Pierre Benetti, dans la mosquée de Vendôme, dont voici l'image, prise mardi, en pleine journée. D'où le petit nombre de personnes dans la salle.

Une ligne se forme en son milieu, grâce à un horizon de têtes anonymes, de hauteurs diverses. Dans la partie du dessous, se trouvent les éléments classiques d’une mosquée, le tapis qui couvre le sol, le porte-Coran de bois. Mais, dans la moitié supérieure, on remarque que les cadres des fenêtres sont banals. Le faux plafond est le même que dans n’importe quel collège ou administration, la salle est chauffée par un radiateur lambda. Ce lieu de culte est d’une normalité confondante. On peut y traquer les marques de la religion omniprésentes. Mais la frontière est poreuse entre le lieu de culte et l’extérieur. Les surfaces blanches, aveuglantes, des fenêtres s’entrecroisent avec les tons de l’intérieur, le vert et noir du tapis. Aux traces du sacré répondent harmonieusement celles de la réalité. Ici, il n’est pas question de combat, mais d’entremêlement. Cette mosquée de Vendôme, dans le Loir-et-Cher, département français au possible (la preuve : Michel Delpech en a fait une chanson), est dépouillée comme une église de province. Elle n’intéresse personne, n’a pas la splendeur de la Grande Mosquée de Paris ou d’un fantasme orientaliste. Mais elle n’a rien du louche des salles de prière des caves des cités dont se gargarisent journalistes et éditorialistes réacs.

C'est d'une tragique incapacité à comprendre la normalité de cette image dont souffrent un certain nombre de commentateurs : d'un pathétique Philippe Tesson qui lança mercredi sur Europe 1 : «Ce qui a créé le problème, ce n'est quand même pas les Français. […] D'où vient le problème de l'atteinte à la laïcité sinon des musulmans ?» Ou d'un lapsus de David Pujadas annonçant un sujet de son JT : «Et maintenant, un témoignage. Il est musulman, marié à une Française.» En somme, volontairement ou non, on déchoit tout bonnement à des hommes et des femmes leur nationalité.

Dans la France des années 2010, la stigmatisation de l’islam est un papier-calque. Elle masque à peine la bête et méchante prolongation du discours colonial, l’immense majorité des musulmans de France venant d’anciens fiefs de l’empire. Est dénué à certains leur libre arbitre, leur droit de se mitonner leur propre tambouille vis-à-vis de l’islam, comme le fait un croyant de n’importe quelle religion. Cette photographie placide et triste est la plus juste des réponses. Mais elle n’est, heureusement, en aucun cas un mot d’excuse.