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Circulation(s) passe la cinquième

Malgré un budget difficile à boucler, la nouvelle édition du festival parisien, désormais installé au CentQuatre, réunit 46 jeunes artistes européens souvent prometteurs. Sélection.
Série «Le philosophe» d'Epectase» (Corentin Fohlen et Jérôme von Zilw), sélection du jury et de Fetart 2015. (Photo Epectase)
publié le 3 février 2015 à 17h46

Pour accéder au festival Circulation(s), il faut traverser la grande nef du CentQuatre, qui l’héberge en son sein. Ce qui, mine de rien, désacralise d’emblée la relation que l’on peut avoir à l’espace muséographique et entérine, par ricochet, le nom de l’événement. Car le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a de la vie dans l’ancien service municipal des pompes funèbres de la ville de Paris : jongleurs (quilles, cerceaux…), danseurs de hip-hop, apprentis comédiens répétant dans un coin, vagues groovy de décibels qui, d’une sono à l’autre, parfois se superposent. Et, accrochées au mur, les premières images de la cinquième édition de Circulation(s).

Marraine. Pour celles et ceux dont le curseur photographique serait encore bloqué sur Brassaï, Doisneau et Walker Evans, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'on lit au frontispice de Circulation(s) : «Le festival a pour vocation de faire émerger les talents de la jeune photographie européenne et de faire découvrir au public la création artistique contemporaine innovante».

Les trois premières années, l’événement se tenait dans une galerie et au Trianon du parc de Bagatelle, en bordure de Paris. Un écrin raffiné, mais aussi quelque peu excentré, qui le coupait d’une partie du public. Depuis l’an dernier, il a donc pris ses quartiers d’hiver au très fréquenté CentQuatre, ce qui, de facto, lui ouvre de nouvelles portes, notamment en direction du profane.

Mille-feuilles «pas très dogmatique», le festival affiche une sélection qui a suivi des canaux différents : pêle-mêle, s'y retrouvent ainsi des artistes choisis par un jury après un appel à candidatures (plus de 600 dossiers pour 2015, moyennant 20 euros de frais d'inscription), d'autres retenus par un parrain ou une marraine (cette fois, Nathalie Herschdorfer, directrice du musée des Beaux-Arts du Locle, en Suisse), une école (la Focus Athens School of Art & Photography, en Grèce), une galerie (Breadfield, en Suède) et, pour finir, un dernier quota d'«invités». Le tout composant un panorama constellé de pleins et de déliés où peuvent s'émanciper toutes les sensibilités (photographie documentaire, plasticienne, installation).

«A chaque fois qu'on entend parler de l'Europe, c'est sous l'angle de la zone monétaire et de la politique menée depuis Bruxelles, analyse Marion Hislen, la fondatrice du festival et présidente de l'association Fetart qui le coordonne. En réaction à cela, nous avons eu envie de chercher un lien culturel identitaire qui regrouperait une mosaïque où chacun crée néanmoins à partir d'une réalité et d'un contexte spécifiques. En outre, le microcosme photographique n'a pas de structures ou d'institutions servant de passerelle à l'échelle du continent et nous avons souhaité, à notre niveau, instaurer ce moment de rencontre et d'échange avec des artistes en début de carrière, qui n'ont jamais participé à des festivals connus, ni même, pour les étrangers, exposé en France.»

«Mastodontes». Tout le monde l'admet, Circulation(s) est devenu en cinq ans un rendez-vous méritoire, audacieux et attachant qui, sur des bases bénévoles (une trentaine de membres… dont deux garçons !), fait du bon boulot. Du reste, la cinquantaine d'artistes encore accrochés pendant plus d'un mois à Paris sont là pour en témoigner (lire ci-dessous). Mais la reconnaissance critique et publique paraît inversement proportionnelle au soutien institutionnel, selon Marion Hislen, qui ne cache pas un réel dépit : après avoir perdu trois gros partenaires privés, il lui a fallu taper à toutes les portes pour tenter de boucler un budget 2015 évalué à 80 000 euros. «La ville de Paris et la région nous donnent 14 000 euros, détaille la directice. Mais nous nous heurtons surtout à l'indifférence totale de la Drac ou du ministère de la Culture, alors que nous avons le sentiment de remplir une mission en participant à une étape hyper importante dans la vie des artistes. Seulement voilà, nous ne faisons pas partie de la petite élite intellectuelle parisienne et je passe ma vie à écrire des lettres, chercher des contacts auprès d'une nébuleuse technocratique qui ne se donne même pas la peine de se déplacer ou de répondre.»

Dépitée, la jeune femme - qui a quitté son emploi de responsable des galeries photo à la Fnac -, ne rompt pas, mais ploie : «Sans aide, il faut passer par l'autofinancement et on se retrouve en concurrence avec des mastodontes comme le Louvre, le Jeu de paume ou la Philharmonie. Autant dire que cela annonce la mort des petits comme nous, les "invisibles", qui venons pourtant de décrocher une page sur le festival dans le New York Times.»

Christian Berthelot, éloge des «César»

Après Petites Misères, le photographe Christian Berthelot (né en 1976) revient avec un nouveau travail : César, des portraits de bébés nés par césarienne. Entre 2013 et 2014, il a poussé la porte des blocs opératoires pour immortaliser les premières secondes de la vie à travers des portraits de nouveau-nés venus au monde par cette technique. Témoin du premier souffle de vie, primitif, monstrueux, presque surnaturel, ce père de deux enfants, nés eux aussi comme ces César, signe un reportage stupéfiant «issu d'une réalité : la naissance de mon aîné. Ma femme a dû subir une césarienne en urgence». Une semaine après, le jeune papa rencontre dans les couloirs le Dr Jean-François Morienval, obstétricien à la clinique où a eu lieu l'accouchement. Immédiatement, le courant passe entre les deux hommes grâce à leur passion commune : la photographie. Six mois plus tard, le médecin lui propose un reportage sur les naissances par césarienne. Il accepte en n'ayant qu'une trouille : «M'évanouir ou partir en courant. Et moi, je ne savais même pas comme je me sentais. Alors je me suis caché derrière mon appareil photo et j'ai fait mon métier.» Dominique Poiret

Franky Verdickt, un cas d'école Mao

Si quelqu'un songeait tourner un jour un remake chinois du Prisonnier, Nianjecun pourrait servir de décor allégorique. Village pilote de 3 000 habitants situé dans la banlieue de Xuchang, c'est semble-t-il le seul endroit, certes à la taille d'un confetti, qui «continue à être géré selon les règles égalitaires maoïstes». Ceux qui y travaillent ne perçoivent pas de salaire, mais ont un logement mis à disposition, l'eau et électricité gratuites, des tickets repas, un libre accès aux écoles hôpitaux, loisirs… A condition de recevoir assez d'étoiles (un système de notes fondé sur la discipline, l'hygiène, l'effort, etc.). Autant dire du pain bénit pour le Belge Franky Verdickt qui, dûment muni des autorisations nécessaires, a figé l'architecture et quelques visages de cette incongruité non moins stoïque.

Une série à rapprocher de celle, voisine et autant irréelle - quoique fondée sur des critères idéologiques diamétralement opposés -, de la Suissesse Catherine Leutenegger qui, elle, a arpenté l'américaine Kodak City : un état des lieux édifiant d'un délire expansif soumis à la décrue économique. Soit des bâtiments XXL et plus personne pour les occuper. G.R.

Clément Huylenbroeck, miss d'un soir

Ni ironie ni condescendance. A 26 ans seulement, le Bruxellois Clément Huylenbroeck ne tombe pas dans le panneau d'une lecture distanciée des concours de miss tel qu'appréhendés à l'échelon belge le plus bas : celui où la cellulite et les vergetures ne sont pas des critères rédhibitoires pour en dissuader certaines de se présenter et d'autres de les acclamer au seuil de la concupiscence. Regard cru - renforcé par l'usage de la couleur - cependant que dénué de cynisme, la série Communal Dream observe les moindres détails d'un protocole prosaïque, qui révèle la craquelure du vernis sur les ongles, comme les tenues trop moulantes de pseudo Clodettes se déhanchant derrière un Cloclo de contrebande. Avant que la soirée de dupes consentants ne s'achève lorsque, le carrosse redevenu citrouille, ne subsistent plus comme ultimes traces de la jovialité populacière que des gobelets en plastique renversés sur des nappes en papier déchirées. G.R.

Aldo Soligno dans l’Ouganda anti-gay

Photo Aldo Soligno

Rester dans l'ombre. Avant, même si elle devait se cacher, la communauté gay ougandaise vibrait. Mais tout a changé depuis la promulgation de la loi anti-gay du 24 février 2014, qui prévoit des peines d'emprisonnement à perpétuité. Stays S., 30 ans, raconte : «Je vis maintenant dans la peur constante qu'on vienne frapper à ma porte, qu'on m'arrête ou, pire, qu'on me fasse disparaître !» En réaction aux centaines de photos de militants et d'homosexuels présumés, publiés dans les tabloïds ougandais avec l'injonction : «Pendez-les !» le photographe Aldo Soligno (né en 1983 en Italie) a photographié des militants LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) de dos, en contre-jour, ne laissant percevoir qu'un contour lumineux dessiné autour de leur silhouette. Cette série de portraits est là pour témoigner des persécutions dont ils sont l'objet au quotidien. D.Po.