En 1981, Gilles Elie Cohen, qui a alors 35 ans, entreprend un reportage sur la banlieue parisienne quand il croise les «Vikings» près d’un terrain vague de la Villette, dans le nord de Paris. C’est une bande de mômes, la plupart n’ont pas 20 ans. Ils ont choisi leur nom en écoutant les chansons des Del-Vikings, premier groupe de rock américain des années 50 à compter dans ses rangs des Noirs aussi bien que des Blancs.
Bananes et cuirs
«Je les ai rencontrés un peu par hasard. Ça a tout de suite collé entre nous. On a sympathisé, on s'est plu et ils m'ont donné sans problème l'autorisation de les photographier dans leurs virées. Ces photographies en noir et blanc leur plaisaient parce qu'elles évoquaient les années 50. Ça cadrait bien avec leur look»,explique Gilles Elie Cohen.
[ A voir d'autres photos de Gilles Elie Cohen dans notre diaporama. ]
Un peu plus tard, il fait la connaissance d’une autre bande, des potes à eux : les «Panthers». Pour la plupart d’origine antillaise, baptisés ainsi en référence aux activistes du mouvement afro-américain des Black Panthers, les Panthers sont considérés comme les précurseurs des bandes «antifa» qui affrontent les skins néonazis apparus au milieu des années 80.
Tout ce petit monde - fils de Français de métropole ou des Antilles et fils d'immigrés - est intimement lié. Ils partagent une même passion pour le rock'n'roll de Gene Vincent, Vince Taylor et Eddie Cochran - «Ils étaient d'extraordinaires danseurs» - et pour les filles, «qui sont la cause de presque toutes les bastons», raconte le photographe français. Un soir, Vikings et Panthers s'affrontent, «mais la brouille ne durera pas bien longtemps».
Une nostalgie de l'Amérique des années 50 - blousons de cuir et bananes gominées - émane des clichés en noir et blanc de Gilles Elie Cohen, qui revendique une approche plus esthétique que sociologique, «sans connaissance de ce milieu». «Ces photos ne sont pas un reportage sociologique, c'est plutôt une mise en scène qui évoque la fiction», poursuit-il. Lui qui est fasciné par la photo américaine des fifties les a prises dans le style de l'époque avec des plans serrés, des films de basse sensibilité (25 ASA), des objectifs 35 et 50 mm, et une attention toute particulière pour tout ce qui permet d'évoquer l'atmosphère de ces années-là : voitures, bâtiments, costumes…
«Comme une chanson»
Il avoue quelques ratés, avec notamment la présence d'une vignette auto de l'année 1981 ou d'une montre numérique au poignet d'une jeune fille. Pour Gilles Elie Cohen, «faire une photo de rock, c'est comme faire une chanson». Une vingtaine d'années plus tard, en 2000, il réalise le film Rock contre la montre, pour Arte, après avoir recroisé quelques-uns des membres de ces bandes : «Un champion du monde de boxe thaï, un des meilleurs acteurs français, quelques trafiquants, quelques paisibles pères de famille […]. D'autres me fuyaient. Plusieurs étaient morts de façon violente. J'avais le sentiment d'une tragédie que le film essayait d'exprimer.» En 2011, il met ces clichés en ligne sur sa page Facebook et là, «ça a pris feu», dit-t-il, encore un peu surpris, mais ravi d'un tel engouement. Une partie de la série sera exposée à Amsterdam en 2012, puis à Paris et à Varsovie. Une époque frénétique qui revit sous nos yeux.
«Vikings et Panthers», par Gilles Elie Cohen, Jean-William Thoury et Pascal Szulc. Ed Serious Publishing, 116 pp.