Menu
Libération
Interview

Liu Bolin : «Je ne suis pas là pour résoudre les problèmes, mais plutôt pour les énoncer»

L’artiste évoque l’utilisation de sa propre image dans ses œuvres et son rapport aux autorités chinoises.
L'artiste Liu Bolin. (Photo Courtesy de l'artiste et de la galerie Paris-Beijing)
publié le 1er avril 2015 à 17h06

Rencontre avec Liu Bolin, 42 ans, dans sa galerie parisienne, Paris-Beijing, à Paris. Le Chinois revient sur sa dernière performance, qui met en scène des figurants en hommage aux attentats du mois de janvier. Il évoque également sa nouvelle série, Target, initiée il y a deux ans et dans laquelle il est moins présent.

Qu’est-ce qui a motivé votre performance de groupe à la galerie Paris-Beijing ?

Depuis deux ans, je suis sur une nouvelle série, qui s'appelle Target, où j'ai décidé de faire rentrer beaucoup plus de monde dans mes compositions. Elle succède à ma série précédente, Hiding in the City [«Se cacher dans la ville», ndlr]. Effectivement, j'ai toujours utilisé mon corps pour exprimer la protestation et [le 19 mars], si j'ai décidé de réaliser cette performance avec 17 figurants qui sont venus de Paris, c'est dans ce moment précis, dans ce contexte particulier postattentats contre Charlie Hebdo, une forme d'hommage à la liberté et aux 17 victimes du mois de janvier. En Chine, il y a eu beaucoup de reportages sur l'attaque, sur les événements, mais les trois quarts des Chinois ne connaissaient pas du tout Charlie Hebdo avant cela.

Dans cette nouvelle série, Target, vous sortez du cadre, enfin presque, pourquoi ?

En fait, très souvent, je continue à apparaître dans les œuvres de mes séries, et [le 19 mars] j'aurais vraiment aimé être dedans, y participer, mais j'étais trop pris par les interviews. Et il y avait 17 figurants à gérer, j'étais comme un metteur en scène. Depuis dix ans, mon travail a évolué, j'ai commencé avec Hiding in the City, je posais devant un mur, un monument, un arbre, un slogan, un tracteur, et je disparaissais sous la peinture. Depuis deux ans, j'apparais moins dans cette nouvelle série. En octobre 2013, j'avais une exposition à Bogotá, en Colombie, et j'avais envie de faire une performance sur place. Un ami qui vivait là m'a prévenu qu'il y avait souvent dans la ville des mouvements protestataires contre le gouvernement en place et qu'à cause de cela il y avait des assassinats en pleine rue, et que tout le monde pouvait être pris pour cible à un moment ou à un autre. J'ai donc eu envie de faire participer des habitants de Bogotá à ma performance et de dessiner des cibles sur leur corps, le tout s'est appelé Target, et cela a été le début de la série. J'avais envie de travailler avec plus de monde. Je voulais faire une performance qui frappe, qui impressionne encore un peu plus, où chaque homme devenait une cible.

Quel est votre rapport à l’imagerie chinoise traditionnelle que vous insérez dans Target ?

L’imagerie chinoise est très importante. Je voulais varier les décors. Mélanger la peinture traditionnelle de mon pays à celle de la Renaissance italienne, une sorte de clin d’œil à la peinture religieuse de cette époque. Construire un pont entre l’Orient et l’Occident, ou plutôt une harmonie entre deux courants culturels et religieux. Placer l’homme en harmonie avec l’environnement et la société. Mettre au même plan deux courants, deux techniques, la peinture traditionnelle chinoise et celle de la Renaissance italienne, qui étaient, à ce moment-là, à leur apogée.

Vos photos-performances font état de problèmes environnementaux, de consommation ou de santé publique. Vous considérez-vous comme un artiste militant ?

A travers mes œuvres, je dénonce des problèmes de société en Chine, bien sûr, mais à l'étranger aussi. Notamment par cette technique du camouflage. Il y a dix ans, mon atelier a été détruit par le gouvernement chinois. J'étais tellement en colère que j'ai décidé de créer une œuvre pour protester contre ce saccage. Je me suis mis à disparaître dans le décor en ruine. Je ne connais pas exactement le terme de militant, en tout état de cause je ne suis pas là pour résoudre les problèmes, mais plutôt pour les énoncer. Pour moi, l'art c'est un peu comme un jouet. C'est une façon ludique de mettre le doigt sur des choses qui ne vont pas bien. Comme cette peinture, Cancer Village, pour laquelle j'ai demandé à des habitants d'un village de la province du Shandong [au sud de Pékin, ndlr], hautement polluée, de poser dans un champ de blé afin de dénoncer les ravages d'une usine chimique, où un habitant sur deux est frappé par le cancer.

Malgré le succès de vos photos, vous continuez à sculpter…

Je suis sculpteur de formation, et j’ai même enseigné la sculpture par la suite. Cette pratique est pour moi très importante. Je continue d’en faire beaucoup. Certaines de mes sculptures sont exposées à la galerie.

Quels sont vos rapports avec les autorités chinoises ?

Je m’estime très chanceux. On ne m’a jamais empêché de travailler. J’évoque à travers mes œuvres des problèmes de société, dont certains, comme la pollution, la santé publique, inquiètent également le gouvernement. Donc, je suis un peu un porte-parole. D’ailleurs, une de mes images (celle des tournesols, je crois) a été utilisée une fois pour un message écologique envoyé par le gouvernement par texto à une grande partie de la population chinoise. Les textos de sensibilisation sont une pratique courante en Chine.

(TRADUCTION GENEVIÈVE CLASTRES)