Elle est impertinente, cette nouvelle foire de photographie. Née en 2015 sur les berges de la Tamise, Photo London, ressurgit pour sa deuxième bougie, du 19 au 22 mai, dans les bâtiments à colonnades et chapiteaux néoclassiques de la Somerset House. Non loin de la Tate Modern qui, elle aussi, s'agrandit d'une nouvelle cheminée dessinée par Herzog et Meuron. Elle accueillera les performances et sera inaugurée le 17 juin. Londres bouge, et ça se voit. Partout des grues hérissent la ville.
Jugée prometteuse lors de sa première édition, les galeristes de la première heure ont renouvelé l'aventure. De nouvelles têtes grossissent les rangs des pionniers. En tout, 85 galeries, dont 15 nouvelles. Ces dernières, labellisées «Découverte», sont nichées dans les parties basses de l'ancien hôtel des impôts XVIIIe. Ailleurs, les belles salles victoriennes parquetées de bois blond, ornées de cheminées peintes en blanc, ne suffisent déjà plus à accueillir tout le monde. Pour l'édition 2016, des tentes – «The Pavilion» – ont été montées dans la cour. Certaines galeries se contentent de salles en plein courant d'air.
Douze galeries françaises ont fait le déplacement. Il va bientôt falloir pousser les murs pour contenter tous ces nouveaux venus dans la capitale des affaires européennes, néophyte en matière de marché de la photographie. Face à Paris Photo, mature et majestueuse, Photo London est une petite cousine bruyante et un peu gênante… Se hissera-t-elle à la table des grands ?
Boules de papier géantes
Sur le stand d'IMA (photo ci-dessus), galerie japonaise au vent en poupe, on est encore traumatisé par le 13 Novembre, survenu en plein Paris Photo. Alors que Paris célébrait l'image avec pléthore d'événements alléchants, les attentats ont laissé hagards galeristes, éditeurs et photographes cherchant le sens de la fête… et du marché. Les Japonais d'IMA hésitent même à revenir l'année prochaine à Paris, c'est dire. Montrant Satoshi Fujiwara, trafiquant d'images qui fait des boules de papier géantes, IMA a retrouvé le même stand que l'année dernière et s'y est installé comme dans des chaussons. Ils avaient cartonné en 2015.
«C'est la meilleure foire que j'ai faite ces derniers temps», s'enthousiasme Steven Kasher (Steven Kasher Gallery), venu de New York et sur le point de vendre sa pièce maîtresse – Ingres and Other Parables, 1971, 10 tirages et textes de John Baldessari (110 000 euros) présentés à plat sur une table. Réfugié sous une table dans un restaurant le soir du 13 Novembre, il n'avait pas passé le stade du comité de sélection à Paris Photo 2015 et se console de ne pas avoir perdu d'argent, tout en étant resté en vie. Il n'a qu'une hâte, c'est d'être à nouveau sélectionné pour revenir à Paris Photo cet automne.
«Aujourd’hui, vous ne pouvez plus rester dans vos vieilles habitudes à attendre les clients. Nous sommes venus ici en chercher de nouveaux,
assène cash Matthew Whitworth, de la galerie new-yorkaise
.
C’est intéressant de rentrer dans le jeu au début, quand ce n’est pas encore trop compétitif.»
Sur son stand, de beaux portraits de Zanele Muholi, et plusieurs tirages d’Olivo Barbieri, qui photographie des baigneurs en séance d’aquagym depuis un hélicoptère. Un grand tirage à l’eau bleu turquoise boostée attire l’œil.
Un problème de croissance à l'horizon ? «C'est le type de problème qu'on aime avoir», rétorque Michael Benson, directeur de la fringante foire avec Fariba Farshad. Fondre le pavillon démontable dans le décor patrimonial de la Somerset était une gageure. Pari réussi, semble-t-il, pour ceux qui l'habitent. «Nous étions heureux avec la première édition, mais les réactions pour cette deuxième édition sont phénoménales, lâche, en toute modestie, Michael Benson. Il n'a pas fait beau le jour de l'inauguration. Tout le monde a été studieux au lieu d'aller se rafraîchir au bord de la Tamise. Tant mieux.» Avenant, le directeur est apprécié. «Nous sommes très confiants pour la suite. Nous ne serons jamais aussi gros que Paris Photo, sauf si nous déménageons. Et ce n'est pas à l'ordre du jour. Ce que nous voulons, c'est faire de Photo London la meilleure foire du monde. L'ambition est de construire une marque forte.» Photo Los Angeles (Reed Expositions) dans les choux après trois éditions, Photo London doit, elle, transformer l'essai.
«Bon signe»
Du côté des galeries françaises, le sentiment est globalement positif au deuxième jour. Certains rentrent déjà dans leurs frais. La galerie Lumière des roses a vendu ses French Pin-up, compilations de diapositives montées sur boîte lumineuse avec filles nues des années 50 à 70. Pimpant. A la galerie Dix9, Hélène Lacharmoise, pour son baptême Photo London, montre de nouvelles superpositions de Leyla Cardenas. Christine Ollier (galerie les Filles du calvaire), devant les souliers piqués d'oursins de Thierry Fontaine, a refait le voyage : «Les Américains sont revenus, c'est bon signe. Il y a ici un pouvoir d'achat qui laisse sa chance à la photographie contemporaine.»
Dans l’auditorium de la foire, un programme dense de conférences parfait l’éducation des curieux.
Des mécontents, il y en a tout de même. En off, certains râlent, surtout les plus mal placés. «Ce n'est pas un lieu fait pour une foire», se désole une jeune galerie excentrée, venue pour la première fois.
Quelques coups de cœur. Jamel Shabazz et son New York hip-hop dans la section Découverte à la Hardhitta Gallery. Chez Esther Woerdehoff, Karlheinz Weinberger, qui habitait chez sa maman, a fait poser de jeunes garçons suisses à l'allure rock. Zoom sur leur ceinture et la fermeture éclair de leurs jeans. Underground et érotique gay. Le photographe, décédé en 2006, aura une grande exposition en 2017 aux Rencontres d'Arles. La Paci Contemporary, une galerie de Brescia (Italie), montre Leslie Krims, photographe américain déjanté des seventies, qui a réalisé des mises en scène démentes avec aspirateurs sur pénis et sexes de femme en fumée (Nude America, 1970). Dans cette même veine, la galerie England & Co présente des tirages d'Eduardo Kac, qui a fait le malin à poil en haut de tours, pour protester contre le régime brésilien (Pornogram, 1981-2012). A côté, Michael Druks a collé sa tête sur des images télévisées en 1975 (Unauthorized Biography). Des montages qui auraient plu à Guy Debord, très société du spectacle. Pareil chez Polaris, avec les performances de Nigel Rolfe. On sent la proximité de la Tate Modern, qui programme en ce moment Performing for the Camera.
Le «Brexit» en toile de fond
Il y a une ambiance décontractée. Don McCullin, en sage qui en a vu d’autres, grand prix de Photo London 2016 pour son œuvre, enchaîne les interviews avec le charme de Robert Redford. Martin Parr a posé sa griffe sur un food-truck. Rankin, lui, a donné son nom à un Photomaton, le Rankomat, où l’on peut se faire tirer le portrait (gratuitement).
Photo London, Somerset House, du 19 au 22 mai.
Offprint London, Tate Modern, du 20 au 22 mai.