Un prix Carmignac sans esclandre - portes qui claquent, communiqué outragé, annonce ou démenti de circonstance, rafistolage de façade - semble-il envisageable ? Eh bien, au vu de la septième cuvée (caractérisée tout au plus par un changement de lieu d’exposition dénué de polémique), qui distingue le travail du Mexicain Narciso Contreras, on dirait bien que oui ! Comme quoi, tout finit par arriver.
Pour condenser les antécédents, rappelons que le dit prix, doté de 50 000 euros - plus une expo et l'édition d'un livre - et centré chaque année sur une zone géographique différente, entend «soutenir la réalisation d'un reportage photographique et journalistique d'investigation sur les violations des droits humains et de la liberté d'expression dans le monde». Une mission indéniablement vertueuse, tempérée par la personnalité de celui qui l'a pensée, Edouard Carmignac, riche financier à la tête d'une société de gestion, critiqué (entre autres) pour son interventionnisme. Un travers qui a atteint son paroxysme en 2014, lorsque la lauréate iranienne, Newsha Tavakolian, a mis les pieds dans le plat en préférant renoncer au prix, ulcérée par un comportement jugé attentatoire à sa «liberté artistique», avant de revenir sur sa décision au terme de mille et une circonlocutions. Conséquence directe de ce couac, la Fondation Carmignac a consenti à revoir le mode de fonctionnement du prix, en confiant désormais le commissariat général au président du jury - en l'occurrence, cette année, Brett Rogers, directrice de la Photographers' Gallery de Londres.
Ce contexte resitué, il importe de souligner la crédibilité du prix qui, depuis sa création, à toujours su élire les reportages irréfutables de photographes chevronnés (Kai Wiedenhöfer, Robin Hammond…). Ainsi en va-t-il également de «Libye : plaque tournante du trafic humain», que signe Narciso Contreras. Habitué des zones ultrasensibles (Yémen, Gaza, Syrie…), le natif de Mexico a effectué trois séjours en Libye, de février à juin, passant au total soixante-treize jours sur place, dont trente spécifiquement consacrés aux prises de vue. De cette enquête très fournie - il y a autant à lire qu’à regarder dans l’exposition (1) -, émane le constat implacable que l’ancien fief du tyran Kadhafi, dorénavant abandonné aux milices, trafiquants et autres militaires sans foi ni loi, est un véritable Golgotha pour les candidats à l’exil qui, traversant la contrée, deviennent parfois une simple monnaie d’échange entre factions. De centre de détention en morgue, s’égrènent alors les stations d’un calvaire tu où, par exemple, l’on déchiffrera trop aisément le sens de ces petits monticules en plastique noir ou blanc posés à même le sable, comme de ces ombres anonymes enténébrées sous une lumière pourtant écrasante.
(1) A voir à l'hôtel de l'Industrie, 4, place Saint-Germain-des-Prés (75006). Entrée libre de 11 heures à 19 heures.