Comment ne pas croire à son destin, lorsque l'on se nomme Boutros Boutros-Ghali? Que l'on descend d'une illustre lignée, avec pour aïeul, le trésorier à la Cour du Khédive, pour grand-père, un Premier ministre qui ouvrit son pays à l'Occident et finit assassiné sous les balles d'un nationaliste égyptien, et qu'au sein de cette famille de l'aristocratie copte, «être un grand commis de l'Etat» s'inscrit dans une fidélité à une certaine idée de l'Egypte, celle qui constitua le socle de la civilisation pharaonique.
De sa maison dans le quartier de Fagala au Caire où il grandit, jusqu'à son bureau du 38e étage du Palais de verre de Manhattan, le sens d'un destin dense et tragique anime Boutros Boutros-Ghali. Cet homme, bon danseur et doté d'un humour pince-sans-rire, a dédaigné un exil facile et les plaisirs que lui conféraient la fortune familiale, pour se construire une vie à la mesure de ses ambitions. Ses proches affirment qu'il puise son ressort intime dans la figure de son grand-père assassiné, Boutros Pacha, et pourrait faire sienne l'épitaphe inscrite en lettre d'or dans le caveau de l'église familiale, où Boutros Pacha repose: «Dieu est témoin que j'ai fait tout mon possible pour servir mon pays.»
Il y a chez Boutros Boutros-Ghali un pragmatisme obstiné au service d'une volonté de sauver l'Egypte, sinon le monde, quitte à être incompris. Là réside peut-être le legs de son grand-père, l'une des clefs d'explication d'un homme que rien n'a ébranlé. Ni le régime nassérien qui