par ISABELLE MANDRAUD photo LISE SARFATI Tokyo, un soir de mars 1995: en voyage d'affaires, Sergueï Blagovoline se prélasse au clair de lune dans une piscine chauffée, un verre de saké à la main. Le téléphone sonne. Quelqu'un lui tend le combiné. A l'autre bout du fil, Vitali Ignatienko, le patron de l'agence de presse Itar-Tass, annonce d'une voix placide: «Tu as été désigné par le conseil des directeurs.» Plus tard, Blagovoline racontera, en riant, sa réaction: «J'ai failli me noyer...»
Malgré les supplications de sa femme et de sa fille Macha, 17 ans, qui tremblent pour lui, Sergueï Blagovoline accepte de prendre la succession de Vladimir Listiev, le directeur de la télévision russe, assassiné le 1er mars, en rentrant à son domicile. Un meurtre aux relents de règlement de compte, que les Russes n'ont pas hésité à comparer à l'assassinat de J.F. Kennedy, tant l'émotion a été forte dans le pays. «C'était un symbole. On a voulu montrer que le pouvoir était faible», explique Blagovoline, en se gardant bien de préciser qui est derrière le «on».
Ostankino, la télévision russe, est captée jusque dans les anciennes Républiques par plus de 200 millions de téléspectateurs. Les récits monocordes des journalistes troncs ont fait place à des reportages dramatiques façon CNN; les jeux, piqués au répertoire de la Roue de la Fortune, ont déferlé, saucissonnés de publicités, et les banlieues américaines sont désormais aussi connues que les citations de Lénine. A la tête de cette nouvelle té