Belgrade, envoyé spécial
Avec le sentiment d'avoir été manipulé voire trahi par le pouvoir depuis l'humiliante défaite des forces serbes en Krajina, le peuple de Belgrade s'interroge sur la politique suivie par son président, Slobodan Milosevic. Lassée de la guerre, l'opinion publique, surprise de ce revers qui traduit la réalité de nouveaux rapports de force à laquelle elle n'avait pas été préparée, prend ses distances sans vraiment le contester avec un pouvoir qui lui paraît plier sous les pressions américaines et allemandes, occupé à négocier une paix dont les retombées, notamment sous la forme de l'allègement des sanctions, se font encore attendre. Quant aux réfugiés, nourris du mythe de l'invincibilité serbe, ils ne cachent pas leur amertume, estimant que Slobodan Milosevic les a incités à croire à la Grande Serbie, avant de les laisser tomber pour échapper aux sanctions. Bakula Drina, une réfugiée originaire de Knin, résume l'analyse populaire: «Notre armée en Krajina n'a pas été vaincue. Elle a été trahie.»
Ce sentiment est d'autant plus fort que Slobodan Milosevic conserve son mutisme habituel. Ce silence, qui aurait été interprété jadis comme faisant partie de l'habilité d'un joueur de poker qui ne veut pas révéler ses cartes, paraît aujourd'hui incompréhensible. «Nous venons de subir une terrible défaite. Nous avons perdu des terres qui depuis des siècles appartenaient aux Serbes. Deux cent mille hommes, femmes et enfants ont été jetés sur les routes de l'exode,