Cojimar, envoyé spécial
Une année s'est écoulée. La route de Cojimar est toujours aussi obscure et défoncée, et le paysage nocturne offre le même spectacle de désolation. Les rares voitures surprennent furtivement dans le pinceau de leurs phares ce qui fut, durant l'été 1994, le théâtre d'un drame que les mémoires ont tout fait pour effacer: des plages de coraux tranchants, un terrain de manoeuvres militaires désaffecté, des chemins boueux menant à la mer.
A Cojimar, «la crise des Balseros», qui a vu plus de 36.000 Cubains fuir leur pays sur des radeaux de fortune (balsa), s'est étrangement dissoute dans les souvenirs. «Après le revirement des Américains (lire le repère ci-contre), l'ouverture des marchés paysans et des restaurants privés, on a recommencé à manger et à réfléchir», explique Enrique, un vieil artisan qui fabrique et vend pour son compte des colliers de corail noir. «Fidel sait ce qu'il fait. Même en bord de mer, la vie est impossible sans air frais, sans lumière et sans bouffe. Les choses se sont améliorées un peu.» Le gouvernement a effectivement tiré les leçons de la crise: cet été, au plus fort de la canicule, téléviseurs et ventilateurs n'ont pas souffert des apagones (coupures d'électricité).
Au village, le restaurant d'Etat la Terraza est vide et lugubre. Gregorio Fuentes, le capitaine du bateau d'Hemingway et son modèle pour «le Vieil Homme et la mer», est rentré chez lui se reposer. Après avoir passé trente-quatre de ses 97 ans à raconter ses aventures au