Menu
Libération
Reportage

Gorazde résiste sans espoir de paixL'enclave a tenu 42 mois de siège, mais ne croit plus à la normalisation.

Article réservé aux abonnés
publié le 20 octobre 1995 à 9h07

Gorazde, envoyé spécial La Drina traverse Gorazde comme une bénédiction. Après un long cours frontalier entre Serbie et Bosnie, elle bifurque brusquement, en région dominée par les Serbes, vers l'enclave musulmane, comme si elle voulait témoigner sa fidélité. La vallée de la Drina ouvre d'ailleurs l'unique route qui mène à Gorazde, sise au creux d'un massif boisé, dont les crêtes, omniprésentes où que l'on porte le regard, accentuent encore la sensation de siège dans la ville. Surtout lorsque l'on voit, devine ou entend l'armée ennemie. Entre les deux barrages serbes, qui ouvrent et ferment la vallée, la Drina irrigue sur une dizaine de kilomètres une plaine étroite de prés, de maraîchages, d'arbres fruitiers. Cette étendue, plus ou moins travaillée au gré des saisons et des offensives, explique pourquoi, au pire moment de la guerre, les gens de Gorazde n'ont jamais éprouvé la famine comme ceux de Srebrenica, Zepa ou de certains quartiers de Sarajevo.

Melika Kustic habite aux abords du petit pont de bois, une maison qui appartient à des cousins. Vêtue d'une longue jupe bariolée, elle remonte de son potager avec une brassée de choux. Au premier printemps de la guerre, elle ne s'était pas enfuie assez tôt de Foca pour échapper à la sauvagerie des troupes de l'armée yougoslave et des milices serbes. Elle ne tient pas à évoquer des blessures, corporelles et sentimentales, mais dit: «La plupart de ceux qui vivent ici, réfugiés, portent en eux des choses épouvantables. Des viols, d