Sarajevo, envoyé spécial
Sous une neige fondue, dans une bouillasse sale, une interminable colonne de camions, d'automitrailleuses, de blindés brunâtres de l'Otan traverse le marché d'Ilidza ce mardi matin, pour entrer à temps dans Sarajevo. Leur mission, en effet, commence aujourd'hui. Comme tous les matins depuis deux semaines, les habitants de ce faubourg serbe les regardent passer en silence, avec une hostilité qui marque un peu plus les visages las, parfois épuisés à force d'isolement. Les Serbes de Bosnie n'ont jamais admis le passage sur «leur» territoire de ces transports militaires étrangers. Mais ils s'étaient habitués aux véhicules blancs de l'ONU.
Ils en avaient pris la vraie mesure par un beau matin de mai 1992. En ce jour mémorable de l'histoire onusienne, cinq soldats serbes hirsutes stoppaient d'un bras en l'air les 80 véhicules du convoi du général Landiar, en route vers Belgrade, pour vider sur le macadam jusqu'à la trousse de toilette du plus galonné des Casques bleus. Depuis ce premier printemps de guerre, au culot, au chantage, à l'amitié ou à la menace, dans les postes les plus isolés des collines ou dans les salons de Pale, les militaires serbes avaient réduit l'autorité des Casques bleus à sa plus simple expression.
Voilà pourquoi les passants d'Ilidza regardent les engins de l'Otan, d'une couleur de treillis plus classique, comme autant d'oiseaux de mauvais augure. Même si les plaques d'immatriculation et les emblèmes désignent leurs origines française