Menu
Libération
Reportage

Une ville morte après l'exodeEcoles, maisons, magasins vidés... les Serbes emportent tout en partant.

Article réservé aux abonnés
publié le 12 mars 1996 à 2h53

Ilidza, envoyé spécial

Au bord d'un chemin de campagne, à l'écart de la grande route d'Ilidza, quatre morts d'une maison abandonnée peuvent envisager l'avenir en paix en bas d'un pré enneigé. Non seulement leur famille a renoncé à les déterrer pour les empiler entre fauteuil et carton de vêtements dans la benne d'un camion, mais, attention rare, elle les a dotés de tout ce qu'elle ne pouvait embarquer. Elle a équipé ce petit cimetière familial d'étagères, de casseroles, de couvertures, pour un confort insolite, jusqu'à ce que des voisins, moins bienveillants ou plus démunis, se servent au passage.

Toutes les tombes ne sont pas dorlotées de la sorte. Certaines sont encore creusées à la va-vite au cimetière d'Ilidza. Puis les corps putréfiés attendent parfois deux ou trois jours, le départ, dans une salle de classe de l'école communale, avec des voisins pas toujours bien odorants. Mais les morts ne se plaignent pas plus que les vivants. Ceux-là n'ont d'ailleurs pas le temps. Ils continuent à empaqueter, entasser, à s'en aller, d'Ilidza, de Blazuj, de Hadzici, des hameaux environnants, avant l'entrée dans la zone, aujourd'hui, des policiers bosniaques. Combien partent de gré, combien de force, combien de peur? La réponse n'importe plus guère, car de toute façon la vie devient, ici, matériellement impossible.

De nuit, afin de ne pas embarrasser les patrouilles de la force multinationale de paix (l'Ifor), des bidasses serbes emplissent des camions militaires aux grilles des usines.