Grozny, envoyé spécial
Bien sûr, elle a un nom, mais plus de plaques. Baptisée à l'époque soviétique en l'honneur d'un écrivain dans le ton ou d'un communiste méritant. Personne ne semble s'en souvenir. Tout le monde dit ici: «la rue du bazar». Jadis artère prospère, bordant le grand marché central. Aujourd'hui une ridelle d'éboulis enserrée de façades percées, noircies, leur paisible agencement déchaussé par les obus. Pourtant, sur ce cloaque, boueux sous la pluie, poussiéreux par temps sec, au milieu d'une odeur pestilentielle, pousse une nuée d'étals richement pourvus, vivants, chatoyants, serrés à la manière d'un parterre sauvage. Fleurs de fumier écloses de la vieille graine du commerce caucasien à peine ensevelie sous les décombres de la guerre. Alors que la paix pointe, ou du moins l'accalmie, les marchands reprennent leurs aises. La «rue du bazar» respire et c'est tout Grozny qui profite de son souffle.
L'inévitable vodka russe. Plus qu'un marché, ce souk aux accents de l'Orient est le véritable poumon de la capitale. On y vient de toute la Tchétchénie pour vendre, acheter ou échanger des produits parfois improbables. Le nécessaire domine, viande abattue dans les villages, fruits et légumes du jardin, café de Turquie, margarine espagnole, vermicelles iraniens, sucre cubain. L'utile abonde, matériaux de construction aux origines indéterminées, jus de fruits polonais, chemisettes italiennes, vestes chinoises, pièces de voiture neuves comme d'occasion, vodka russe. Le s