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Libération
Reportage

Les soldats inconnus de la guerre en TchétchénieA la morgue de Rostov, les cadavres témoignent de la débâcle d'une armée, dans laquelle Eltsine est impopulaire.

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publié le 13 juin 1996 à 7h00

Rostov-sur-le-Don, envoyé spécial

Traits tirés de peine, visage défait par la fatigue, Macha Tarountaïev tente cette dernière démarche à contrecoeur. Elle a tout essayé, arpenté pendant des mois les montagnes de Tchétchénie, fouillé le moindre village rebelle, inondé de requêtes tous les états-majors. Dans son aumônière, souvenir d'un lointain mariage, la photo écornée de son fils, Volodia, 21 ans, «porté disparu» depuis déjà une année. Conscrit, jeté dans le conflit caucasien, «il conduisait une citerne. En queue de colonne. Personne n'a pu me dire ce qui s'était passé. Son camion n'est jamais arrivé à la base. J'ai espéré jusqu'à une désertion. J'ai attendu longtemps. Mais il n'est pas rentré». Alors, Macha s'est mise en quête. Et, comme nombre de parents détruits par le doute, ses recherches infructueuses l'ont mené à Rostov, rue Lermontov, au laboratoire 124.

Coincée entre les casernes, une bâtisse vétuste aux murs lépreux: l'institut médico-légal de l'armée russe. Là terminent les cadavres sans nom du conflit caucasien. Patiemment, le lieutenant-colonel Vladimir Cherbakov tente de reconstituer l'histoire de ces soldats autrement condamnés à rester inconnus. L'officier bout d'une colère difficilement contenue. A trop avoir vu le dessous des cartes, la guerre de Tchétchénie s'est insinuée dans sa vie comme une tragédie personnelle qu'il partage avec les familles des disparus. «Chaque jour, ils sont une dizaine à passer au laboratoire, confirme le légiste, des gens blessés