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Libération

Le feu ravive les démons du Sud américainUne trentaine d'églises noires incendiées cette année: faute de preuves, on invoque le passé. Barnwell (Caroline du Sud)

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publié le 5 juillet 1996 à 8h36

envoyé spécial

Chapeau blanc sur la tête, le pasteur noir Aiken Ruth sort de sa Cadillac blanche pour entrer à grand pas, sans un mot, dans la petite église, la Rosemary Baptist Church, au bout de la clairière. A l'intérieur, le plafond léché par les flammes il y a deux mois est couleur nuit, et les parois sont couvertes de suie. Le pasteur finit par rompre le silence. «La chaleur a dû être énorme», observe-t-il en désignant, au sol, un lustre déformé. Puis il sort, tente de reconstituer le parcours de l'incendiaire, venu sans doute du petit bois derrière, la fenêtre brisée pour forcer l'entrée, le vitrail éclaté de l'intérieur pour créer l'appel d'air.

Descendants d'esclaves. Derrière l'église baptiste, des tombes: Kirkland, Walker, Bradley, Myers et quelques autres. Les fidèles du lieu sont les descendants d'esclaves devenus fermiers sur les terres des Blancs. «Nous habitions de l'autre côté de la route, où mes parents exploitaient une ferme», raconte William Bradley qui vit aujourd'hui dans la petite ville voisine de Blacksville, fondée à la fin du XIXe siècle par d'anciens esclaves. «Comme mon père avant moi, je venais tous les jours chercher de l'eau au puits, face à l'église. Ma grand-mère restait dehors pendant des heures. Dieu seul sait à quoi elle pouvait penser! Cette église, c'est une part de moi-même», explique-t-il. Depuis l'indendie, un cauchemar l'empêche de trouver le sommeil: «Je me retrouve au Viêt-nam au milieu des flammes et de scènes d'horreur de la guerr