Bujumbura envoyée spéciale
D'un pouce machinal, il tapote la télécommande. Reprend de la bière. Se lève. Écarte un coin de rideau sur la rue aux pelouses soignées de ce quartier chic de Bujumbura. Il dit: «Je le reconnais moi-même: mon jugement est affecté. Je ne suis plus cet intellectuel raisonneur qui traitait les massacres entre Tutsis et Hutus d'histoire de fous et d'analphabètes.» Jean-Félicien, professeur burundais, se laisse retomber sur le canapé. «Je suis devenu comme les autres: j'ai une arme chez moi, et l'autre semaine, avec un groupe de voisins, nous avons tué un homme parce qu'il était sur notre trottoir après le couvre-feu et nous regardait d'un air qui semblait hostile.» Depuis le coup de force du major tutsi Pierre Buyoya mercredi dernier, Jean-Félicien, hutu, ne sort même plus de sa villa et tient prêt «un petit baluchon» au cas où «il faudrait filer au Zaïre». «En essayant de raisonner comme avant, je me dis que ce type est un modéré. Que ses appels au calme sont peut-être sincères et représentent notre dernière chance.» Puis brusquement, il se frappe la poitrine: «Mais moi, moi que mes collègues surnommait l'Anglais à cause de mon flegme et mes idées démocratiques, j'ai glissé au milieu du chaudron burundais.»
Répression.Jean-Félicien se souvient de l'achat de la villa, en 1992, grâce à la promotion de son stage londonien. Des promenades en famille le dimanche autour du lac. Un an plus tard, Melchior Ndadayé, le premier président hutu élu après trente ans