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Libération

Les derniers des Mohicans (1) Des traditions en voie de disparition... L'invitation au voyage des rouleurs de havanes

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publié le 19 août 1996 à 8h57

A Cuba, les lecteurs de fabrique de cigares permettent à des

ouvriers analphabètes de découvrir Stendhal ou Hugo

La Havane de notre correspondant Depuis neuf ans, Jesus est le «lecteur» de la fabrique de cigares Partagas, coincée entre le Capitolio et le Gran Teatro, au coeur abîmé de la Vieille Havane coloniale. Dans ce laboratoire des meilleurs cigares du monde, il est 14 heures et c'est «l'heure du roman»: la salle est comble de tabaqueros à la tâche et Jesus se prépare pour sa dernière narration de la semaine. Avant de «monter en scène», il compte les pages, regarde sa montre, se racle la gorge. Cette séance-là est toujours la plus délicate: «Je la prépare un peu plus que les autres. Quarante-cinq minutes pour arriver à la fin du chapitre avant le week-end. Il va falloir cavaler», confie Jesus, un brin de trac dans la voix.

C'est l'heure. Il gravit le petit escalier de l'estrade et s'assied dans le fauteuil du milieu, derrière le micro. Sa «scène» a des allures de chaire de justice, avec ses trois fauteuils à dossiers sculptés et ses boiseries en cèdre vernis. Un dernier regard devant lui avant de plonger dans la fiction: 300 femmes et hommes dans la «galère», penchés sur leurs établis et concentrés sur les mouvements de leurs mains. Apparemment, personne ne prête d'attention particulière au jeune mulâtre qui installe son livre devant lui, calme, grave comme un présentateur de télé.

«Tabaqueros». La chaleur poisseuse suinte sur les fronts et les bras nus. En juillet, La Hav