Grozny envoyé spécial
Fantômes au sortir d'un caveau, ils émergent de leur bunker, petits groupes hagards, l'uniforme en lambeaux, couverts de poussière et de plâtre. Sur les visages, noircis par la poudre, crainte et lassitude. Le masque d'une défaite qui ne dit pas son nom, et que l'on a travestie en trêve. Les soldats russes ne se font pourtant guère d'illusions, assiégés depuis vingt jours dans le centre de Grozny, enterrés dans des pâtés de bâtiments en ruine, ils avaient pour seul horizon la ligne de tir d'une meurtrière. Tout leur manque: eau, vivres, munitions. Leur sort dépend du bon vouloir de ces rebelles, traités hier de bandits, aujourd'hui maîtres de la ville. Ils ont rabattu de leur superbe. Une soumission aux relents de capitulation.
Vadim, 22 ans, avance avec une extrême circonspection, collé au drapeau blanc de son commandant. Première rencontre avec l'ennemi. Première sortie à l'air libre après trois semaines de mitraille. Campés au milieu du carrefour, le verbe haut, l'arme à la hanche, les combattants tchétchènes l'encouragent de la voix et du geste, ravis d'une telle timidité. Une dizaine de mètres les séparent. Redoutable glacis il y a seulement quelques heures. La rue de la Paix, théâtre des plus violents engagements, n'est que décombres, l'asphalte creusé par les cratères de bombes, constellé par les éclats des obus. Entre les carcasses de blindés calcinés pourrissent les cadavres. Flotte une insupportable odeur de mort.
A pas comptés comme on éprouve l