Visegrad envoyé spécial
Le pont bistre de Visegrad, imaginé par un sultan d'Istanbul pour alimenter le commerce avec Sarajevo, ne transporte plus aujourd'hui que la rancoeur serbe. Le long de ses huit arches déambule, jusqu'au crépuscule, le ressentiment des autochtones dont la prospérité, dans cette cité négociante, n'est plus qu'un souvenir. Et l'aigreur des immigrés des premiers jours de la guerre, qui pendant quatre ans attendirent la reconquête de leurs maisons abandonnées à Gorazde ou à Sarajevo. Et la désillusion de ceux qui, depuis la réunification de la capitale bosniaque, affluent des banlieues d'Ilidza ou Vogosca. «Entre nous personne ne déteste plus personne et personne ne s'aime non plus», dit joliment Ana, elle-même jolie Sarajévienne.
De l'autre côté du pont, les affiches électorales apparaissent sur les vitrines des boutiques. Celles du Parti radical-serbe de Voislav Sesselj, qui représente l'extrême droite nationaliste en Serbie. Les placards du Parti de l'unité serbe, d'Arkan, un chef belgradois de milices de tueurs qui orchestrèrent la plupart des campagnes de terreur en Croatie et en Bosnie. Enfin les affiches du Parti serbe pour la démocratie, de Radovan Karadzic. Sur les photos, ces trois apôtres de la purification ethnique rivalisent de respectabilité. Le premier est assis derrière un luxueux bureau de ministre. Le deuxièmea échangé son treillis pour un costume bleu ciel. Le troisième, bien que banni de la vie politique, apparaît avec son éternel sourire