Menu
Libération

Une vie de chiens de guerre à Grozny. Leur armée en déroute, de nombreux soldats russes refusent la trêve et crient vengeance.

Article réservé aux abonnés
publié le 31 août 1996 à 9h00

Grozny envoyé spécial

Sergueï cultive la hargne. Un style, une attitude, des poses guerrières calculées avec soin, censées donner le change, adoucir l'amertume de cette défaite qu'il ne reconnaît pas. «Personne n'a battu le 3e escadron, premier bataillon, 276e régiment, 205e brigade», aboit-il crânement. «On se repose, c'est tout. Les fantassins fous, qu'on nous appelle. Pas vrai les gars? C'est pas encore la paix. Y aura beaucoup d'autres combats.» Les jeunes recrues opinent servilement aux fanfaronnades du sergent, craignant d'affronter ses yeux vides, ses imprévisibles sautes d'humeur. Il faut être «un ancien», comme Andreï pour oser lâcher un très sobre: «Connerie!»

Ainsi vont les soldats perdus de la Russie, trahis par leur chef, humiliés par les armes, qui oscillent entre extrême lassitude et folie meurtrière. Frais émoulu du peloton d'élèves gradés, Sergueï réclame vengeance. Andreï, le vétéran sans barrettes, rêve d'un prompt retour dans ses monts de l'Oural, vingt mois en Tchétchénie n'ont pas pu effacer la douceur de son regard. Tous deux, pourtant, appartiennent à la même unité. L'un et l'autre sont arrivés au centre de Grozny au plus dur de la bataille, «trois heures pour progresser de trente mètres», renforts chargés de dégager les unités assiégées, pour se retrouver prisonniers de la nasse indépendantiste.

Hécatombe. Les blindés carbonisés de leurs colonnes encombrent les avenues. Les corps de leurs camarades ont pourri 18 jours, étendus sur l'asphalte. En deux