Madrid, de notre correspondant
Sur les bords du rio Jarama, le regard d'Antoine Piñol vagabonde en quête de repères. A l'ouest du petit pont de fer, les troupes rebelles de Franco s'étaient établies sur les monts pelés de la Maranosa. A l'est, l'armée républicaine a tenu coûte que coûte 10 000 morts pour empêcher que l'ennemi coupe la route Madrid-Valence. «Une fois, avec ma section d'éclaireurs, nous avons fait une visite au-delà du pont, ça s'est mis à tirer de partout, tellement vite que nous ne savions pas d'où ça venait, se souvient ce vétéran des Brigades internationales. Malgré la nuit noire, ils nous avaient vite repérés. Nous n'avons pas même eu le temps de réagir, de nous jeter à terre. Simplement, de filer en courant. C'est un miracle si personne n'a été touché.» Electron libre. La peur, cet Agenais né espagnol l'a promenée plus de deux ans sur les fronts les plus durs de la guerre d'Espagne: Madrid, Almaden, Aragon... Et Jarama, donc: «Là, c'était terrible, avec une chaleur à crever et des morts par paquets. Nous n'avions pas le temps de les enterrer, nous les brûlions.» A 81 ans, Antoine Piñol a gardé intact le port carré de lutteur gréco-romain qu'il fut dans sa jeunesse et un franc-parler rigolard d'électron libre rétif à tout embrigadement politique, dans des brigades à forte dominante communiste. «Je n'ai jamais aimé cette oppression du haut vers le bas; d'ailleurs, une fois j'ai manqué casser la gueule à un colonel russe. Quoi qu'il en soit, ils ne m'o