Ruhengeri envoyée spéciale
C'est un chemin qui grimpe dans la colline, entre plants de haricots et bananiers. «Tu es venu...» Ceux qui s'y croisent s'embrassent longuement, gravement. De la route en contrebas, monte la rumeur des réfugiés, file interminable qui a maintenant dépassé Ruhengeri, à plus de 60 kilomètres de la frontière zaïroise. Jean et ses deux grands fils se sont assis sur la terrasse de leur maison. Une maison de parpaings, au-dessus des maisons de terre des voisins. Ils l'ont quittée en juillet 1994, laissant derrière eux, meubles, photos, livrets de banque. Ils la retrouvent, dépouillée jusque à ses portes et fenêtres. Griffonnée sur un mur, une phrase en kinyarwanda: «Cette maison est occupée.» Jean et sa famille iront vivre chez un voisin, le temps de tout remettre en état. Demain, comme tous ceux qui rentrent du Zaïre, ils se feront inscrire au registre communal. «Aujourd'hui, nous retournons en masse. Il n'y a pas de fouille, pas de sélection. Demain, ils vont nous trier. La crainte est dans mon coeur.» Véritable armée en exil. De l'employé de préfecture qu'était Jean, il ne reste qu'une veste de costume élimée. A 45 ans, le petit notable des collines rentre chez lui comme un clochard. «Ce fut une expérience terrible. Un homme qui a des plantations, l'intelligence, dépendre des Blancs pour avoir de quoi manger, c'est une honte.» A voix basse, Jean et ses fils racontent les camps, l'organisation par cellules, comme dans les collines, avec ses chefs, son