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Libération

«Nous, les élections, on s'en fout»

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A 26 ans, Nasser s'identifie à son pays, à la dérive, désabusé et sans espoir.
publié le 28 novembre 1996 à 0h48

Dans les rues sombres des cités de Belcourt, au pied des immeubles HLM, une enseigne lumineuse attire la jeunesse du quartier comme une lampe magnétiserait des papillons. Un combiné surmonté d'une double inscription, en arabe et en français: «Taxiphone». Sous ce faible néon, ils sont des dizaines, garçons de 16 à 30 ans, accroupis à même le trottoir, adossés aux murs décrépits où l'on peut toujours lire de vieux slogans du FIS. Ils fument, discutent, rigolent, attendent. Rituel quotidien, le coup de fil romantique à l'aimée, cloîtrée par sa famille, surveillée par ses frères, et qui n'ose pas sortir le soir, braver le qu'en-dira-t-on des voisins. Les Roméos font la queue pour sussurer leurs mots tendres aux Juliettes, jusqu'à 3 ou 4 heures du matin. Mais malgré l'envie, la frustration, personne n'aurait l'audace d'interrompre un Casanova, collé comme une sangsue à l'appareil, pour un long monologue. «Ce serait le massacre, sourit Nasser, en Algérie, c'est toujours l'amour qui provoque la violence, celui d'une femme ou de son pays.» Un enfer. Pour tuer le temps on discute football, fringues, bagnoles, religion, politique. Mais les élections, «on s'en fout». La réaction est unanime. «Nous n'irons pas voter tant que nous ne serons pas considérés comme des citoyens algériens, explique Nasser, sous les hochements de tête approbateurs, il faut voir ce qu'on endure quand on est jeune en Algérie. La vie est un enfer. La plupart d'entre nous sont au chômage. Ceux qui travaillent ont