Goma envoyée spéciale
Les soldats sont arrivés de bon matin, si affamés qu'ils ont raflé tout ce qu'il y avait sur les étals du marché de Kalungu. Ils étaient 3 000 hommes de l'ex-armée rwandaise (défaite en 1994), peut-être plus, entassés dans des camions, des bus de tourisme, des fourgonnettes, balançant à bout de bras des fusils Famas et hurlant des chants de victoire. «Ils ont montré la colline et nous ont dit qu'ils allaient partir par là, vers Kisangani», dit Féroce, dont la femme vend du savon. Kisangani est à 500 kilomètres à l'ouest, et la colline se dresse, vert tendre, avec un minuscule sentier de terre rouge pour seul accès. Derrière, d'autres collines surplombent un horizon de brousse. «Est-ce que vous savez voler?», a demandé Féroce aux soldats. Ils ont répondu que s'il fallait une route, ils la tracerait eux-mêmes. Alors, ils ont subtilisé deux bulldozers sur un chantier un peu plus bas. Et ils ont disparu sur la colline, dans un vacarme de moteurs, avec d'immenses jets de boue et semant des mines derrière eux. L'un d'eux a crié: «Si vous voyez venir notre bas peuple, qui suit à pieds, envoyez-le par ici.» Une semaine plus tard, et trois virages plus loin, la suite de l'épopée se lit sur les flancs labourés des bananeraies, où les bus, les camions, les pelleteuses sont couchés dans la boue. Et puis, plus loin, sur la route, devenue sentier, les traces de milliers de bottes militaires qui s'éloignent vers la forêt. «Le lendemain, reprend Féroce, nous avons vu