Brcko, envoyé spécial
Dans sa blouse en Nylon bleu, l'ingénieur naval Mladen Radinovic n'attend rien depuis cinq ans. Son avenir s'écoule du matin au soir à travers les fenêtres de son bureau, sur les eaux grises, larges, brumeuses de la Save, où ne flottent plus que des branchages de bouleaux et ne s'entendent que les Klaxon des Golf des patrouilles croates qui longent la rive d'en face. Ni les accords ni les ambassades à Belgrade et à Zagreb n'ont ramené un chaland sur la rivière qui mène au Danube. Les grues se tordent de rouille, les wagons se figent sur des rails enterrés, les baraquements de moellons, gris ou blancs, enferment leurs fantômes. Dedans, loin des yeux des gens mais pas des oreilles, 300 ou 400 Musulmans ont été enfermés et passés à la Kalachnikov en trois jours du mois de mai 1992. Cette zone portuaire de Luka, au coeur des négociations récurrentes sur le statut de la ville, est un enjeu désert, absurde et détruit. Bourse d'études. En fin de matinée, Alexandra Mirkovic guette le facteur, sans illusions. Aucun ami ne connaît son adresse sauf son fiancé, en service militaire en République serbe, mais la poste militaire ne marche pas. Pendant un an, elle a attendu aussi une réponse à sa demande de bourse d'études dans une université de Toronto, en vain. Dans une petite maison, Alexandra partage une chambre avec ses trois soeurs et le salon avec sa mère dépressive, son père malade et chômeur, son oncle et sa tante jacasseurs, son grand-père, sa grand-mère. Ap