Le Cap envoyé spécial.
«Je ne suis pas sûr de vouloir rencontrer celui qui m'a fait ça, de croiser ses yeux froids, qui ne regrettent rien.» Tandis que son front couvert de cicatrices se plisse derrière d'épaisses lunettes, le père Michael Lapsley croise sur son ventre les deux pinces métalliques articulées qui lui servent de mains depuis ce terrible 28avril 1990. Alors en exil dans une paroisse de Bulawayo, au Zimbabwe, il sait depuis quelques mois qu'il est dans le collimateur du gouvernement d'apartheid, pour son appartenance à l'ANC de Nelson Mandela et la forte voix qu'il représente. Ce jour-là, il ouvre d'une main distraite un paquet de revues religieuses qu'il vient de recevoir d'Afrique du Sud, tandis qu'il répond au téléphone. En feuilletant l'un des magazines, il déclenche le piège: «Je me rappelle d'une douleur telle que je n'ai jamais cru qu'un humain puisse supporter, j'ai été jeté dans la pénombre par la force de l'explosion, mes mains arrachées. J'ai perdu un oeil.» La barbe incrustée dans la peau, le visage tellement enflé qu'il en devient méconnaissable, le père Michael Lapsley reprendra péniblement goût à la vie. Aujourd'hui, il est le chapelain du Centre de traumatisme pour les victimes de la violence et de la torture, au Cap. Lui qui aurait préféré mourir sur son lit d'hôpital a appris à dissimuler furtivement ses deux prothèses derrière le dos, pour ne pas embarrasser ses hôtes qui lui tendent la main.
Sans remords ni regret. Comme des milliers de Sud-Afr